L'humour d'Economiesuisse : enfumage patronal

Economiesuisse a de l'humour. ça ne nous avait pas frappé jusqu'à son engagement contre l'initiative Minder, mais là, ça nous aveugle : son directeur, Pascal Gentinetta, minimise l'impact de l'engagement de son organisation (patronale) dans la campagne sur l'initiative contre les rémunération abusives en déclarant qu'« une votation ne s'achète pas », alors qu'Economiesuisse balance huit millions dans sa campagne. Et le même Gentinetta assure, avec la même crédibilité, que si l'initiative est repoussée, le patronat ne soutiendra pas un référendum contre la loi qui fait office de contre-projet à l'initiative, et qu'il n'a acceptée que contraint par l'urgence de faire au moins semblant de lutter contre des « rémunérations abusives » qui suscitent une indignation presque générale.

Huit millions pour ne rien acheter ?

A l'« indignation morale » suscitée par les « rémunérations abusives » que combat l'initiative Minder, Economiesuisse, fer de lance de l'opposition à l'initiative, aurait peut-être pu, un bref instant, le temps d'une bouffée de sincérité, répondre par  : « c'est normal, c'est le marché », mais ce discours serait inacceptable pour l'opinion publique. Alors elle fait semblant d'admettre que oui, il faut lutter contre les «rémunérations abusives». En s'empressant d'ajouter « mais pas comme Minder le propose, comme le propose la loi » qui fait office de contre-projet indirect à l'initiative. Une loi contre laquelle, si l'initiative ne passe pas, un référendum sera certainement lancé par une partie de la droite et du patronat. Et donc d'une partie d'Economiesuisse elle- même... qui promet que ce sera sans elle. Mais ne précise pas que ce pourrait être avec une partie des entreprises qui la financent.
Son directeur a beau déclarer qu'une « votation ne s'achète pas », Economiesuisse tente bien d'acheter celle du 3 mars. La faîtière patronale n'investit pas huit millions dans sa campagne contre l'initiative Minder pour la beauté du geste, le soutien au débat démocratique ou la relance de la publicité dans la presse : elle le fait parce qu'elle pense, à tort ou à raison que cela peut contribuer à «faire le résultat». Et pour « faire le résultat », l'organisation patronale fait feu de tout bois : elle ne fait pas que remplir les pages des journaux d'annonces publicitaires, elle achète des noms de domaine internet qui se font passer pour être ceux de partisans de l'initiative, elle laisse son agence de com' engager des étudiants pour diffuser de faux témoignages (contre l'initiative) dans les media...

Le Directeur d'Economiesuisse justifie l'absence de transparence sur le financement de sa campagne contre l'initiative Minder : « une transparence totale ne serait pas praticable ». Peut-être, mais personne ne l'exige. On voudrait seulement savoir si cette campagne est payée par des ressources issues de contributions de sociétés publiques ou à participation publique (Swisscom, Axpo, Alpiq, les banques cantonales...), et quelle part y prennent les grandes entreprises (dont des multinationales étrangères comme Ikea, Microsoft ou Philip Morris) dont les managers sont directement visés par l'initiative. Or Economiesuisse ne rend pas publique la source des fonds utilisés pour faire sa, dispendieuse, campagne, mais demande que l'on prenne en compte « le traitement rédactionnel réservé par les medias, qui peut faire pencher la balance d'un scrutin ». Et qu'Economiesuisse prend en compte, puisqu'elle investit massivement dans ces mêmes media dont elle craint qu'ils maltraitent sa position...  Pov'patrons maltraités par les media helvétiques, dont on ignorait qu'ils fussent à ce point anticapitalistes...

Il reste moins d'un mois avant le vote sur l'initiative Minder. Moins d'un mois pour résister aux prédictions apocalyptiques des opposants à l'initiative, qui nous assurent sur tous les tons que si elle était acceptée, les entreprises suisses ne trouveraient plus de managers assez compétents pour les diriger, qu'elles devraient se rebattre sur des médiocres, que leurs performances en souffriraient, que des licenciements massifs en seraient la conséquence... non mais, et puis quoi encore ? Il n'y a aucun rapport entre la hauteur des rémunérations et des bonus, et la performance des entreprises :  UBS affiche une perte de deux milliards et demi de francs en 2012. Et a versé deux milliards et demi de francs de bonus en 2012.
Au fait, quelle part prend cette banque (et les autres) au financement de la campagne d'Economiesuisse contre l'initiative Minder ? En 2011, le patron de Novartis a touché plus de 15 millions, celui de Roche plus de 12 millions, celui de Nestlé plus de 10 millions etc... quelle part prennent ces entreprises au financement de la campagne ? On l'ignore. Et on l'ignorera sans doute jusqu'à la fin de la campagne. Et il ne faut pas compter sur EconomieSuisse pour nous sortir de cette ignorance. Mais cette opacité ne fait que rendre plus urgentes des mesures assurant la transparence du financement des campagnes politiques -et plus compréhensible l'opposition farouche de la droite et du patronat à cette transparence... que la Suisse est bientôt l'un des derniers Etats européens à refuser...

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