8 mars, Journée internationale des droits des femmes : Les fleurs du mâle

Nous sommes le 8 mars. Le jour ou tout le monde est féministe. Même le roi d'Arabie Saoudite, le pape et Christophe Blocher. Au prix, évidemment, d'une légère distorsion rhétorique : ne plus célébrer la journée internationale des femmes (il est vrai que son origine, une proclamation de la Deuxième Internationale en hommage à une grève d'ouvrières et à toutes les femmes en lutte, devait être encombrante), mais la journée de LA femme. Pas une journée des femmes réelles, mais une journée de LA femme mythique. La femme des hommes, donc. Une généralisation sémantique qui est aussi une réduction politique. Qui fait bien notre affaire, à nous autres, hasardeux couillus : on va pouvoir s'offrir, entre la Saint-Valentin, le Salon de l'Automobile et la Fête des Mères, un jour d'hommage à LA femme. Quant à la solidarité avec les luttes DES femmes... « Ce qui est, est. Le reste, faut voir ».

 

« Ce qui n'est pas peuple est si peu de chose... »

Le 8 mars n'est pas une fête féministe mais plutôt, en nos pays, un jour de recensement de ce qui reste à accomplir pour que les femmes soient « des hommes comme les autres », plutôt qu'un jour de mobilisation contre «toutes les oppressions» et toutes les dominations, la majorité des femmes dans le monde les subissant à peu près toutes ensemble : domination sociale, économique, culturelle, politique, sexuelle, « ethnique », religieuse...  En Asie, en Afrique, la violence faite aux femmes est quotidienne et massive (elle n'a d'ailleurs même pas vraiment régressé dans nos propres pays, si ces formes paroxystiques ne sont plus tues ni admises : 800 femmes meurent chaque jour des suites de complications de leur grossesse ou de l'accouchement, 82 millions de filles de moins de 17 ans, certaines n'ayant que 10 ans, sont actuellement mariées en y ayant été forcées, trois millions de femmes sont chaque année victimes de mutilations génitales). C'est précisément parce qu'elles cumulent les oppressions et dominations que la libération des femmes serait (sera...) une libération des humains, tous genres confondus. Car si le féminisme est un mouvement de libération, la «promotion des femmes» n'est qu'une revendication d'ascension sociale. De l'un à l'autre, c'est peu dire qu'il y a réduction -et que cette réduction arrange bien. Parce que c'est fatiguant, cette prétention des mouvements de libération sociale (le féminisme en est un) à être des mouvements de libération de tout le monde, et, s'agissant du féminisme, aussi un mouvement de libération des hommes, pour la même raison que le mouvement de libération des prolétaires était posé  comme un mouvement de libération de toute la société : celles qui sont tout en bas ne peuvent se libérer qu'en bousculant tout ce qui pèse sur elles. Et comme ce qui pèse sur elles pèse aussi sur tout ceux qui sont au-dessus d'elles, la libération venant d'en bas traverse toute la hiérarchie sociale, dès lors que « Ce qui n'est pas peuple est si peu de chose que ce n'est pas la peine de le compter» (Jean-Jacques Rousseau). Mais on est bien passé du féminisme contestataire à une revendication promotionnelle, d'une intégration complète des femmes dans les structures, les pouvoirs et les normes de la société existante. Or ces structures, ces pouvoirs et ces normes ne discriminent pas que les femmes, mais la majorité de la population, par l'addition de toutes ses composantes discriminées en tant que telles : les femmes en tant que femmes, mais aussi les travailleurs d'en bas, les immigrants, les pauvres, les précaires...

C'est pour répondre à des nécessités matérielles du capitalisme que l'émancipation (relative et instrumentale) des femmes s'est produite : la nécessité de la main d'oeuvre pour remplacer les hommes expédiés dans les boucheries des guerres mondiales pour ce qui est de leur accès à l'activité professionnelle, la nécessité d'élargir la base politique (électorale, citoyenne) des démocraties pour ce qui est des droits politiques. Mais à chaque conquête de droits pour les femmes, ces droits se sont accompagnés de charges s'ajoutant aux charges qu'elles assumaient déjà et qui n'ont été que très partiellement partagées avec les hommes. Les femmes ont eu accès au travail rémunéré, mais il s'est ajouté au travail ménager. Elles ont eu accès aux mandats politiques, mais ils se sont ajoutés au travail ménager et au travail professionnel. Le partage des tâches ménagères entre femmes et hommes a un peu progressé, mais il est encore loin d'être égalitaire. En outre, les champs sociaux désormais ouverts aux femmes sont aussi des champs d'aliénation : ils l'étaient pour les hommes, ils le sont désormais aussi pour les femmes -on parle là du salariat et du rapport de dépendance à l'égard des employeurs, des institutions politiques, de la soumission volontaire à leurs normes. Les chefs des femmes qui travaillent sont généralement des hommes, et les hommes avec qui ces femmes vivent quand elles ne sont pas seules assument généralement une part bien plus réduite que celle de leurs compagnes des tâches non rétribuées (des tâches ménagères à la prise en charge des proches dépendants). Enfin, si les filles réussissent mieux à l'école et à l'université que les garçon, s'il y a désormais plus de bachelières que de bacheliers, les professions restent distinctes les unes des autres par une discrimination de genre : il y a toujours des professions « féminines » et « masculines », et lors même que des femmes accèdent aux niveaux supérieurs des hiérarchies professionnelles, c'est souvent à des niveaux de « support » des chefferies réelles (les ressources humaines, le marketing et la communication, par exemple), lesquelles restent essentiellement masculines. Même devenues cheffes, les femmes continuent à avoir des chefs, et c'est d'ailleurs la chefferie en soi qu'il convient de remettre en cause, pas la seule chefferie masculine....

On éduque toujours les filles à la disponibilité, à la gentillesse, à la responsabilité des autres. A être la destinataire du monologue du « Livret de famille » de Ramuz. Quand donc prendront-elles, sans attendre qu'on le leur accorde, le droit que nous avons pris, contre elles autant que contre nos semblables : le droit à l'égocentrisme, à la méchanceté gratuite et au j'menfoutisme payant ? Ce droit est peut-être la condition de leur libération, autant que de la nôtre.

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