Après le vote genevois sur les caisses de retraite publiques : Plier le pilier ?

Le vote, à trois contre un, en faveur de la fusion des caisses de 
retraites publiques genevoises CIA et CEH n'est sans doute pas très
glorieux, et ne nous offre qu'un répit (c'est d'ailleurs pour ce répit
que nous avons voté « oui »), mais il nous évite de passer, c'est-à-dire
de perdre, encore six mois à bidouiller un « plan B » dont les premiers
éléments déjà connus (hausse des cotisations des salariés, réduction des
prestations, augmentation de l'âge de la retraite) laissaient lourdement
présager d'une proposition encore pire que celle qui nous était
soumise... Du moins a-t-on maintenu ce que la droite de la droite
voulait (et veut toujours) abolir : la primauté des prestations, la part
patronale majoritaire dans les cotisations... Reste qu'on a mieux à
faire que choisir entre le pire et le mauvais... et que le Deuxième
pilier est à plier, pas à sauver.


"Et que de ce pilier Samson nous fasse une meule..."

C'est sur une affiche... de l'UDC qu'on s'est surpris à
trouver la meilleure expression de notre vote de la veille à propos de
la fusion des caisses de retraite publiques genevoise : « oui à cette
mauvaise solution »... Et donc, trois votant-e-s contre un-e ont accepté
cette « mauvaise solution », la sachant probablement telle (aucun de
ceux qui la soutenaient, en tout cas, ne la présentait comme autre chose
qu'un pis-aller). Tous les locaux de vote, même les plus à gauche
(ceux-ci dans une proportion certes moindre que les locaux de droite,
mais atteignant tout de même plus des deux tiers des suffrages), ont
accepté la proposition du Conseil d'Etat. Les caisses publiques vont
donc être mises à contribution pour six milliards et demi de francs en
quarante ans pour que la désormais caisse unique de retraite de la
fonction publique cantonale atteigne en 2052 un degré de couverture de
80 % de ses engagements. Un énorme « ouf » de soulagement aurait balayé
le bout du lac si un roboratif petit vent contraire, sur les tarifs TPG,
n'avait quelque peu désorienté les girouettes. Reste que, sur le fond,
ce vote, s'il sauve le système actuel de prévoyance professionnelle de
la fonction publique, ne résout rien et ne change pas grand chose, si
hauts que soient les cris poussés par les référendaires de gauche,
voyant dans ce résultat celui d'une « campagne de désinformation, menée
en sous-main par le gouvernement et assumée par les partis dits de
gauche et les syndicats des services publics » -la théorie du complot
ayant en tous les cas, et quelque soit son objet, l'avantage du confort
intellectuel et de la certitude rassurante : la gauche c'est nous, les
autres (les Verts, les socialistes, le cartel intersyndical de la
fonction publique, le SIT...) sont des traîtres -ou des imbéciles, au
choix ou cumulativement. D'ailleurs, le même dilemme que celui qui s'est
imposé à la gauche genevoise s'impose maintenant à la gauche vaudoise.
Le même dilemme, et la même impasse, tant qu'on en restera à la «défense
des acquis» dans le cadre d'un système de prévoyance professionnelle
dont il conviendrait de se débarrasser, plutôt que s'acharner à le faire
perdurer.

Il faut bien se résoudre à l'admettre : en acceptant il y a quelques
décennies le système de la « prévoyance professionnelle » tel que nous
le subissons encore, les Suisses-ses ont accepté un système dont il
n'est rien de plus urgent, aujourd'hui, que se défaire. Le vote genevois
du 3 mars n'y concourt sans doute guère, mais un refus du plan proposé
aurait été pire encore, dans ses conséquences sur les cotisants et sur
les rentiers. Il ne devrait pour la gauche plus être temps de boucher
les trous du système, de consolider et re-consolider les caisses, de les
fusionner pour les maintenir -il devrait être temps de réformer
complètement (pour ne pas dire « révolutionner ») un système qui produit
à la fois, par une épargne forcée, des capitaux disponibles pour le jeux
en bourse et de l'inégalité sociale au moment de la retraite. De
l'inégalité sociale puisqu'il reproduit les inégalités salariales, et de
l'inégalité de genre, puisqu'il reproduit les discriminations à
l'encontre des femmes.

Les bas salaires et les revenus irréguliers (ceux des intermittents du
spectacle, par exemple) sont exclus de la prévoyance professionnelle
lorsqu'ils n'atteignent pas le seuil de la « déduction de coordination
», qui équivaut à 300 francs près au revenu minimum couvert par la loi
sur la prévoyance professionnelle (cette déduction est portée sur le
revenu annuel brut, et détermine le revenu soumis à cotisation :
lorsqu'elle est plus élevée ou égale au revenu brut, il n'y a pas de
revenu soumis à cotisation si le revenu est inférieur à 21'060 francs,
et donc pas de capital LPP, et donc pas de rente : on se retrouve au
minimum AVS et à l'aide complémentaire). Ce mode de faire frappe plus
les femmes que les hommes, pusqu'elles sont plus que les hommes
contraintes à de bas salaires ou des revenus intermittents : en 2010, la
part des femmes exerçant une activité professionnelle rémunérée
dépendante d'un employeur mais ne disposant pas d'un « deuxième pilier »
était deux fois et demi plus élevée que celle des hommes (26,3 % contre
10,8 %) et en 2011, la rente annuelle moyenne versée aux femmes
dépassait à peine la moitié de la rente annuelle moyenne versée aux
hommes (18'333 francs contre 36'531). Le système même du « 2ème pilier »
renforce clairement, ici, les inégalités salariales de genre. Et pour
cela aussi, c'est un changement fondamental du système qui s'impose : le
basculement dans le premier pilier, c'est-à-dire l'AVS, de tout (si
possible) ou partie (par exemple en restituant aux cotisants la part
représentée par leurs cotisations dans leur capital retraite, et en
basculant la part patronale dans l'AVS) du 2e pilier.

Comme disait l'autre, il y a là du « grain à moudre », et pour parfaire
cette métaphore minotière, il conviendrait peut-être d'utiliser le
deuxième pilier comme meule, plutôt que de se battre jusqu'au dernier
rentier pour le sauver. Ou, pour vous le dire en alexandrin : « que de
ce pilier Samson nous fasse une meule ! ».


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