Election au Conseil d'Etat genevois : Pas encore d'alliance à gauche, mais...

La décision du congrès socialiste confirme qu'il n'y aura pas d'alliance de «  toute la gauche » genevoise au premier tour de l'élection du Conseil d'Etat, s'il y a déjà une volonté des socialistes de tout faire pour remporter cette élection, et celle du Grand Conseil. L'« alliance de toute la gauche » n'aurait en effet de sens que si elle rassemblait les trois partenaires de l'« Alternative », et non seulement les socialistes et les Verts, ce qui n'en ferait qu'une alliance de la « gauche gouvernementale » se contraignant  par ce « gouvernementalisme » à assumer le bilan calamiteux d'un gouvernement dans lequel elle était minoritaire. Or la « gauche de la gauche » a déjà refusé cette alliance de premier tour, avec les PS et les Verts, sa survie ne tenant qu'à sa distinction d'avec ses deux partenaires potentiels -et en particulier d'avec le PS, dont presque rien ne la distingue plus (du moins lorsque le PS se comporte en parti socialiste) sinon des habitudes rhétoriques et de vieilles haines recuites dans une vieille sauce sectaire.

« Un spectre hantait naguère quelques venelles... »

L e PS genevois n'a pas voulu choisir », titre Le Matin Dimanche d'hier, à propos de la décision du congrès socialiste de lancer quatre candidat-e-s dans la course au Conseil d'Etat. Disons plutôt que le PS n'a pas voulu choisir ce qu'on le pressait de choisir : la prudence, la sécurité, l'alliance exclusive avec les Verts. Parce que d'une alliance de premier tour, la « gauche de la gauche n'en veut pas », lors même que cela fait tout de même quelques lustres qu'elle ne défend plus, dans les initiatives qu'elle lance et dans les parlements (ou les exécutifs municipaux) où elle siège, que des positions fondamentalement social-démocrates, fondées sur la défense de l'Etat social, de l'Etat de droit et de la démocratie, même «bourgeoise» : salaire minimum, abolition des forfaits fiscaux, lutte contre le fichage policier, droit de vote des étrangers, défense des droits démocratiques et du droit d'asile...

De quoi la « liste à deux» (ou à trois) proposée au congrès socialiste de samedi, et repoussée par lui, était-elle le nom ? De la prudence (voire de la pusillanimité).  Mais peut-être aussi du désir d'éliminer d'entrée une candidate dont on craint le résultat devant le peuple, moins pour ce qu'elle représente politiquement que pour le risque de la voir élue à la place d'un autre. Ces petites cuisines politiques sont le rituel des arrière-salles des congrès où l'on désigne les candidat-e-s du parti... Sortons-en donc, et parlons de ce qui va désormais importer, de la volonté de conquérir à Genève une majorité de gauche... ou plutôt, trois majorités de gauche...
Car pour mener « une autre politique », puisque c'est sur cette ambition (qui implique une condamnation de la politique menée jusqu'à présent par les majorités gouvernementales et parlementaires sortantes) que la gauche va se présenter aux élections cantonales, nous avons besoin d'une majorité au Conseil d'Etat, certes, et la liste socialiste « à quatre » en est, au premier tour, le moyen. Mais de cette majorité là comme conséquence de deux autres majorités, plus décisives : une majorité populaire et, reposant sur elle, une majorité parlementaire (dont la « liste à quatre » est aussi le moyen).

Et puis, que veut-on changer au juste ? La majorité politique, seulement ? Un changement de majorités parlementaire et gouvernementale est certes, sauf à poursuivre le rêve de l'insurrection salvatrice, la condition nécessaire d'un changement de politique, et une majorité populaire est certes la condition nécessaire d’une majorité institutionnelle. Mais une condition nécessaire n'est pas encore une condition suffisante. L'exigence d'une majorité populaire ne se réduit pas à celle d'une majorité électorale. D'abord parce que les institutions politiques de la République donnent encore le dernier mot au peuple (du moins à cette part du peuple à qui les droits politiques sont accordés). Ensuite, parce qu'en l'absence de l'une ou l'autre de ces majorités, on se retrouverait avec un gouvernement de gauche constamment confronté à une majorité parlementaire de droite l'empêchant d'agir, ou même un gouvernement et un parlement de gauche constamment confrontés à des référendums systématiques lancés par la droite et l'extrême-droite. Si la gauche (à supposer qu'elle veuille réellement être majoritaire, et qu'elle arrive à l'être) met en œuvre un programme de changement, chaque point de ce programme devra être accepté par le corps électoral : nous ne sommes pas dans une démocratie représentative, et avons au moins hérité de Rousseau ceci, que la volonté du peuple ne se représente pas, elle s'exerce. Si la majorité institutionnelle ne repose pas sur une majorité populaire, ses propositions n’auront de destin que celui du sommeil du juste dans la quiétude du Mémorial. Et même une majorité populaire stable ne suffit pas à un changement politique : rien d'important n'a été gagné, ni changé, politiquement, sans procéder, avant toute démarche institutionnelle, d'une exigence et d'une mobilisation sociales. Aucun droit fondamental n'a jamais été octroyé, tous ont été conquis, toujours dans la rue et hors la loi encore en vigueur.

Un spectre hantait naguère quelques venelles de la Vieille-Ville et quelques jardins colognotes : celui d’une victoire de la gauche aux élections cantonales. Las ! le spectre n’était qu'un ectoplasme de bonne composition et la droite jouait à se faire peur. Le Grand Soir n'est pas vraiment à l'ordre du jour, ni le petit matin du départ des Boat People colognotes chassés de leurs villas par les agents du fisc ou les pelleteuses du logement social. Les cendres de Léon Nicole reposent toujours à Plainpalais, Lucien Tronchet ne hante plus que les archives du Collège du Travail, et feue l'extrême-gauche n'a plus guère d'extrême que sa gaucherie. Pourtant, faire de Genève le lieu d'une démocratie ouverte (la République) et d'une société solidaire (la Commune) reste le seul objectif qui vaille. Que la gauche soit capable de relever ce défi ne dépend que d'elle. Il ne s'agit pas seulement de gagner des élections, il s'agit surtout de donner un sens politique à cette victoire.
On n'attend pas de la gauche qu'elle fasse mieux que la droite : On en attend qu'elle fasse autre chose. Conjointes, l'élection du Grand Conseil et le premier tour de celle du Conseil d'Etat nous diront si elle en a reçu le mandat d'une majorité populaire.

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