Engagement d'apprentis "sans-papiers" par la Ville de Genève : Le brâme du chaînon manquant

Au Conseil Municipal de la Ville de Genève, la gauche et le PDC ont proposé au Conseil administratif d'user de la possibilité, récemment ouverte par une ordonnance fédérale, d'engager comme apprentis des jeunes dépourvus de titre de séjour (des  « sans-papiers », pour user d'une expression contestable). Il s'agissait d'égalité de traitement entre jeunes de différents statut légal, mais aussi de «combler un vide», tous les autres parcours de formation étant ouverts aux jeunes « sans-papiers», sauf précisément celui de l'apprentissage. Votée par la majorité du Conseil Municipal, contre le PLR, l'UDC et le MCG, la proposition a suscité à l'extrême-droite du Conseil, c'est-à-dire au MCG, un déchaînement de brâmes, de claquements de pupitres, de vagissements de toutes tessitures, destinés moins à exprimer une opinion qu'à empêcher l'expression de celle de l'adversaire -surtout lorsqu'elle est exprimée par une femme. Darwin peut reposer tranquille : on a trouvé le chaînon manquant, il siège en meute au Conseil Municipal de la Ville de Genève.

Quand l'extrême-droite préfère les dealers aux apprentis

L'UDC, le MCG et, derrière eux le PLR, qui ont ensemble refusé la motion (qui n'en a pas moins été acceptée...) incitant la Ville à faire usage de la possibilité d'engager des apprentis sans titre de séjour, font mine de craindre un « appel d'air » pour d'autres candidats à la régularisation, voire à l'immigration. En oubliant que les conditions proposées par le Conseil fédéral (maîtrise d'une langue nationale, scolarisation en Suisse) rendent cette crainte encore plus illusoire que la réalité même de l'immigration illégale : aucun immigrant illégal ne va s'enquérir des lois en vigueur dans les pays vers lesquels ils se dirige. Et qu'il ne choisit d'ailleurs pas, n'importe quel pays, avec n'importe quelle législation, faisant l'affaire, quand on n'a, ou ne ressent, plus d'autre choix que celui de l'exil pour survivre et qu'on est prêt à se noyer au milieu de la Méditerranée ou à végéter à Lampedusa plutôt que croupir dans son pays.
Au surplus, contrairement à ce que l'UDC affirmait, la demande faite à la Ville est parfaitement légale : le Conseil fédéral a édicté une ordonnance, entrée en vigueur le 1er février, qui autorise des jeunes sans statut légal de séjour à entreprendre en Suisse un apprentissage (avec un permis de séjour valable le temps de leur formation) à condition qu'ils maîtrisent une langue nationale, respectent l'ordre public et aient fréquenté l'école obligatoire en Suisse pendant au moins cinq ans. Cette ordonnance est une concrétisation de la motion du démo-chrétien genevois Luc Barthassat, acceptée en 2010, et allant dans le même sens.
Quant aux syndicats, qu'un èmecégiste avait cru bon d'appeler à la rescousse,  l'Union syndicale suisse avait demandé, lors de la consultation sur l'ordonnance fédérale, que les cantons soient carrément contraints de délivrer des permis de séjour aux jeunes «  sans-papiers » remplissant les critères d'une entrée en apprentissage, afin d'assurer une égalité de traitement quel que soit le domicile du jeune concerné -ce qui nous rappelle qu'à Genève, lorsque la Ville (par la voix de la Conseillère administrative Sandrine Salerno) s'était dite disposée à rejoindre Lausanne et à engager des jeunes sans statut légal, le président du Conseil d'Etat, François Longchamp, avait menacé la Ville de poursuites pénales, et l'unique représentant de la droite à l'exécutif de la Ville, Pierre Maudet, s'était publiquement, en confondant volontairement, au passage, travail au noir et travail sans permis, désolidarisé des intentions de Sandrine Salerno et de la position de la Municipalité à laquelle il appartenait encore. 

Qu'une proposition aussi mesurée, et aussi rationnelle, que celle de pouvoir engager comme apprentis des jeunes ne disposant pas de titre de séjour valable (sans qu'eux-mêmes soient pour rien dans ce manque), suscite au sein d'un Conseil Municipal comme celui de Genève l'espèce de transe qui s'est emparée du MCG, signale au moins que si mesurée et rationnelle qu'elle soit, cette proposition atteint quelque part, au tréfonds d'un cerveau reptilien, quelque chose de l'ordre de l'instinct, ou de celui l'obsession. Mais de quel instinct, ou de quelle obsession ? Celle, peut-être, de se voir privés d'un thème de discours commode, sans aucun rapport perceptible avec la réalité, mais qui a l'avantage de couvrir par le bruit qu'il fait et l'écho qu'il suscite, le vide abyssal de la pensée qu'il camoufle. Ce brâme supplée à un langage articulé, et les jeunes sans-papiers, l'UDC et le MCG les préfèrent dans la rue plutôt qu'à l'école, et dealers plutôt qu'apprentis.
Parce qu'on peut toujours titiller les foules en brandissant les dealers et les zônards. Mais que ça fonctionne beaucoup moins bien quand on essaie de faire peur avec des apprentis.

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