Et hop ! Vasella ! Plus haut qu'Economie Suisse !

Prends l'oseille et tire-toi...

En mai prochain, le président de Novartis, Daniel Vasella, quittera sa présidence. Douloureuse séparation, qui lui vaut un joli pot d'adieu : 72 millions de francs (12 millions par an pendant six ans), en échange de la promesse de ne pas travailler pour la concurrence. Il paraît que le pognon attendait son heureux bénéficiaire sur un compte ouvert il y a déjà deux ans, en un temps où ne parlait encore pas beaucoup de l'initiative Minder contre les rémunérations abusives... mais tombant quinze jours avant le vote sur l'initiative, l'information avait consterné les opposants de droite au texte de Minder.  D'autant que, contrairement à l'initiative, le contre-projet indirect lancé par la droite n'interdisait nullement le genre de cadeaux dont Vasella vient de bénéficier... Finalement, Vasella, sous pression d'une opinion publique indignée, a renoncé à son cadeau de départ -et l'initiative Minder a triomphé dans les urnes...


La prime de fidélité de Vasella  ? un complot trotsko-maoïste...

Le revenu annuel moyen du Suisse moyen  tourne, en gros, autour d'un millième de ce que le président de Novartis va toucher en quittant son poste. La rétribution annuelle d'un-e président-e de la Confédération stagne misérablement à vingt-trois fois moins que celle du même Vasella en 2011. Et en 31 ans au service de Novartis, Vasella aura touché en rémunérations diverses environ 400 millions de francs... Pas mal, pour un ancien gauchiste, non ?  «Si Daniel Vasella avait voulu faire voter Minder, il ne s'y serait pas pris autrement», fulmine le président du PLR, Philipp Müller...  Bon sang, mais c'est bien sûr ! tout ça, c'est un complot ! D'ailleurs, il paraît que Vasella, quand il était jeune, il a été trotskyste...  et si ça se trouve, Minder, il était mao. Schaffhouse, dans les années vingt, c'était une base rouge, non ?
L'explication de l'indifférence d'un Vasella aux conséquences politiques de ses prébendes est pourtant bien plus simple que celle d'un complot : elle réside toute entière dans l'autisme de cette caste de  «supermanagers» totalement étrangers aux réalités sociales, économiques, politiques -bref, au «monde réel» auquel ils sont pourtant accrochés -mais comme des parasites le sont à ce dont ils se nourrissent. Qui demande à un pou, une tique ou un morpion de se préoccuper de la réalité qu'ils pompent ? C'est précisément cet autisme de parasites qui explique le succès populaire de l'initiative Minder, qui le combattait avec les accents d'un bon vieux rappel aux  « vraies valeurs » d'un capitalisme d'antan largement mythifié, mais qui, à le comparer à celui qu'incarne un Vasella, n'en prend pas moins les atours d'une rectitude morale rassurante, même si elle relève plus de l'autosuggestion et de la nostalgie que de l'histoire.
Aurait-elle été de gauche, l'initiative Minder, qu'elle n'aurait pas eu l'ombre d'une chance en votation populaire. Mais elle n'était pas de gauche. Elle n'était pas une initiative anticapitaliste. mais une initiative de restauration du capitalisme traditionnel, par le renforcement du pouvoir des actionnaires sur les managers. un peu comme une initiative qui renforcerait après Marignan le pouvoir des militaires sur les mercenaires... Des syndicats en ont tiré la conclusion qu'il fallait la repousser ( « Travail Suisse » y appelait) ou qu'il ne se justifiait pas de la soutenir (l'USS appellait à voter « blanc »). Les partis de gauche, eux, étaient malgré tout partisans du « oui », ayant en tête ce qui viendra en votation populaire après: l'initiative « 1:12 » de la Jeunesse Socialiste, l'initiative de l'USS pour l'instauration d'un salaire minimum.
D'ici le vote sur ces deux textes qui, eux, remettent sérieusement en cause ce que l'initiative Minder ne fait qu'effleurer, c'est tout de même à donner un vrai coup de semonce politique qu'il faut nous apprêter. Et le camarade Vasella nous y aide : L' « indemnité pour non-concurrence » qu'il aurait dû toucher pendant six ans n'étant rien d'autre qu'une indemnité de départ déguisée, elle serait tombée  lourdement sous le coup des dispositions de l'initiative Minder. Même si on peut faire confiance aux juristes stipendiés par les grandes entreprises pour trouver de quoi farder ce genre de rémunérations, les faire passer pour autre chose que ce qu'elles sont, les appeler autrement et les verser autrement, pour tenter d'échapper aux nouvelles dispositions légales, l'initiative inscrit dans la constitution des dispositions que le contre-projet indirect bricolé par la droite voulait se contenter d'inscrire dans la loi (le Code des Obligations). Elle donnait ainsi à ces dispositions une force plus grande, et les soustraient à un référendum du patronat et de la droite. De plus, une partie des exigences de l'initiative avait été éducorées, ou laissées à l'appréciation des actionnaires, ou tout bonnement ignorées : c'est précisément le cas des indemnités de départ  « à la Vasella », que l'initiative interdit formellement, mais que le contre-projet maintenait comme possibilité dérogatoire.
Les directeurs des principales sociétés suisses sont les mieux payés d'Europe, avec en moyenne 8 millions d'euros par an (contre 6 à 7 en Allemagne et en Grande-Bretagne). Au plan international, il faut aller aux Etats-Unis, à Singapour, à Hong Kong ou à Shanghai pour trouver des directeurs mieux payés.
Singapour, Hong.-Kong, Shanghai ? la Chine «communiste» et ses marches ? Revoilà le complot ?  Mais impalpable, alors (contrairement au cadeau de départ de Vasella). Même qu'on nous a dit que « Minder » en chinois, ça pourrait s'écrire comme « esprit ». Ou « âme ».

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