François Ier, évêque de Rome...

Bergoglio pas encore pape, Videla déjà dictateur
Habent Papam... et alors ?

Le paradoxe est toujours amusant, d'écrire sur un sujet dont on n'a a priori pas grand chose à cirer : or donc, un jésuite argentin a été coopté evêque de Rome, devient Pape de ce fait, et son passé commence à faire débat : que faisait-il, que disait-il, lorsque régnait sur l'Argentine le talon de fer des militaires fascistes ? En Argentine, on l'accuse d'avoir été complice, au moins par son silence,  de l'enlèvement de prêtres, mais également de bébés, enfants de militantes de gauche arrachés à leur mère pour être remis à des familles de militaires. Il est en tout cas fort  vraisemblable que s'il avait été du côté des prêtres partisans de la Théologie de la Libération, il ne serait pas Pape aujourd'hui. Ni même sans doute encore vivant. Cela dit, la seule question qui vaille peut-être d'être posée n'est pas de savoir ce qu'a fait ou pas fait François Ier, évêque de Rome, avant d'être Pontife, mais pourquoi diable les chrétiens catholiques ont-ils besoin d'un pontife ? Habent papam, et alors ?

François Ier, héritier d'Auguste, pas de Pierre

On est très déçus : on espérait une femme, africaine, musulmane et mariée à sa compagne mais le nouveau Pontife catholique, et monarque absolu de l'Etat du Vatican, élu par les deux tiers des membres du conclave, est un homme, argentin, catholique, homophobe (l'homosexualité est un « démon infiltré dans les âmes ») pour qui le mariage entre personnes du même sexe, autorisé par la loi de son pays,  est « l'oeuvre de Satan ». Il va désormais pontifier sous le nom de François 1er. Le Roi de France, importateur en France de la Renaissance italienne n'y est évidemment pour rien. Peut-être François d'Assise ? les ordres mendiants ne sont pourtant pas grands producteurs de souverains, même pontifes. Peut-être François de Sales ? Bah, la reconquête catholique de la Genève calviniste ne paraît pas franchement à l'ordre du jour : il faut plutôt aller chercher du côté de François-Xavier, jésuite tentant d'évangéliser la Chine. Vaste programme... pas moins vaste pourtant que celui que lui a assigné le doyen du collège des cardinaux : promouvoir sans relâche et au niveau mondial la justice et la paix - Il est vrai qu'on voit mal l'église lui donner pour mission de promouvoir l'injustice et la guerre : des papes, pourtant, s'y attachèrent, mais leurs successeurs n'en ont plus guère les moyens -du moins pour les guerres.
Quant à l'injustice... s'il ne s'est guère illustré en dénonçant les exactions de la junte fasciste qui a sévi en Argentine jusqu'à ce que son fiasco malouin la chasse du pouvoir en 1982,  le nouveau pape s'est en revanche illustré, en tant qu'Archevêque de Bueños Aires, par son conservatisme doctrinal, mâtiné d'option préférentielle pour les pauvres. On n'attendait d'ailleurs (à supposer qu'on en attendait quelque chose) pas de meilleur choix d'un collège électoral (le conclave) et d'une institution (l'église catholique romaine) qui est depuis longtemps devenue sa propre fin, et qui, pour se maintenir, s'est toujours révélée prête à composer avec n'importe quel pouvoir dès lors qu'elle ne pouvait plus s'imposer à lui. Le nouveau pontife semble bien à l'image de l'église dont il est désormais le chef : soucieux de défendre l'institution, bien avant que de défendre ce qui est supposé la justifier (le message évangélique).

« Je me réjouirais de prêter allégeance à un pape non européen », a déclaré le cardinal Schweri. Et bien, heureux homme, il va pouvoir le faire (encore qu'il n'y ait pas plus européens en Amérique latine que les Argentins). Mais « prêter allégeance », de quelle réminiscence féodale est-ce le fumet? Une église a-t-elle besoin d'un chef, et ses croyants d'un pontife ? A chercher la réponse dans les Evangiles, comme l'ont fait les réformateurs protestants, la réponse est évidemment « non ». Mais cette réponse ne fait que reposer la question sous une autre forme : pourquoi diable (si l'on ose écrire) les catholiques ressentent-ils encore ce besoin infantile d'un « Saint Père », de cette « idole à qui on lie les mains et à qui on baise les pieds » dont ricanait Voltaire ? Pour l'église elle-même, en tant qu'institution, ce besoin de chef est un héritage : le Pontife romain catholique est l'héritier des pontifes romains païens. Pas l'héritier de Pierre mais l'héritier d'Auguste. Et les fidèles ? Le pape est peut-être le chef d'une institution romaine, et d'une église en tant qu'appareil, mais si l'on a bien lu et à peu près compris ce que disent les textes qui justifient (pour elle, en tout cas) l'existence de cette église, elle n'aurait ni besoin d'être une institution, ni besoin d'une hiérarchie, ni besoin d'autre « chef » que son dieu, si elle était autre chose qu'une institution -et qui plus est, une institution menacée, minoritaire en Europe (par rapport à l'ensemble des fidèles d'autres confessions chrétiennes, de ceux d'autres religions, des « sans religion », des agnotstiques et des athées), et d'autant plus soucieuse de sa survie qu'elle est menacée de désaffection -pas forcément pour le meilleur d'une liberté de pensée accrue, aussi pour le pire d'un sectarisme et d'un intégrisme prompts à revendiquer les territoires perdus par les églises traditionnelles, dont la romaine. Car si, à défaut d’être déjà mort Dieu nous paraît subclaquant, ce cadavre a ses parasites, et si les églises traditionnelles s’endorment doucement, d’autres, souvent pires, naissent de leur soue.

Cela dit, on pourra, nous qui sommes d'une tradition sans pape (ou étant à nous mêmes nos propres papes) et même sans dieu, ironiser tant qu'on veut sur le besoin infantile des catholiques romains de se donner un chef, et trouver assez consternants le spectacle de la foule romaine attendant son apparition au balcon et l'attention portée à cet événement par tous nos media, on ne sera pas rassurés pour autant sur nos propres propensions à nous chercher nous aussi des chefs, des grands leaders, des commandante jefe presidente... Il y a aussi de la religiosité là-dedans -et il y a donc aussi à s'en débarrasser dans le champ politique où nous campons : Chavez sera embaumé. Comme Lénine, comme Mao, comme Ho Chi Minh.

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