Gramsci, Malatesta, réveillez-vous ils sont paumés...

Ingovernabile... e poi ?

L'avantage de la langue italienne pour un francophone étant que la traduction n'est pas toujours indispensable à la compréhension, on n'aura pas besoin de traduire le mot du jour : « ingovernabile » serait donc depuis les dernières élections, l'Italie. Parce que sans majorité parlementaire au Sénat, et sans coalition durable à l'horizon. Et les marchés plongent, et l'Europe s'inquiète, et notre feuille d'avis inofficielle locale évoque un «scenario catastrophe»... Ingovernabile, l'Italie ? Peut-être, mais pourquoi seulement depuis les dernières élections ? Etait-elle « governabile » avant ? sous Berlusconi ? Ou sous le fascisme ? Et pourquoi diable être «ingovernabile» serait souffrir d'un manque ou d'un mal ? Notre projet, celui du mouvement socialiste, n'était-il pas, quand les mots politiques avaient encore politiquement un sens, de passer « du gouvernement des hommes à l'administration des choses ? »

Et donc, précisément, d'être « ingovernabili » ?


"Mieux vaut des chevaux dans les lasagnes que des ânes au pouvoir"

L'Italie s'est donc réveillée, après les élections, sans majorité politique cohérente. La coalition de « centre-gauche » (puisqu'apparemment il n'y a bientôt plus de gauche tout court) n'atteint pas 30 % des suffrages pour la Chambre des députés, ne surpasse la coalition de droite (celle de Berlusconi) que de moins d'un demi-point, n'a pas de majorité au Sénat et ne peut pas compter sur l'appoint des forces à sa gauche (la liste de «révolution civile» fait moins de 3 % des suffrages et la « gauche de la gauche » se traîne autour du pourcent). Et surtout, la liste de protestation radicale de Beppe Grillo, vouant toutes les autres forces politiques, de gauche comme de droite, aux gémonies (« qu'ils aillent tous se faire foutre...» ), mobilise le quart des suffrages et devient la deuxième force politique du pays, juste derrière le PD de Barsani et juste devant le PL de Berlusconi. Du jamais vu depuis le « qualunquisme » des années cinquante. Et pour couronner Berlusconi, enterré vivant il y a trois mois, est remonté au niveau du « centre-gauche » en multipliant les promesses les plus incrédibles, surtout celles de faire le contraire de ce qu'il faisait quand il était au pouvoir, et en se convertissant subitement, et fort opportunément, à une "europhobie" d'autant plus rutilante qu'elle était de pure façade,  pendant que la coalition de gauche perdait, sondage après sondage, du terrain -moins en faveur de Berlusconi lui-même, qui a progressé en dévorant l'électorat de la coalition libérale de Mario Monti, qu'en faveur du mouvement des Cinq Etoiles de Beppe Grillo, dont le succès tient beaucoup à l'atonie de la gauche italienne et à l'absence d'alternative mobilisatrice à l'« austérité » façon Monti.
Même en comptant à la louche, 30 % de berlusconistes, 25 % de qualunquistes et 25 % d'abstentionnistes, cela nous fait dans les 80 % de n'importe quoi... Mais on aurait tort de ricaner du résultat italien, parce que même si, membres du PS genevois, on a l'impression, à ne s'en tenir qu'au discours électoraux tenus par les Bersani, Vendola et Ingroia, de se retrouver à l'extrême-gauche de la gauche italienne, et que nul ne doute à Genève qu'à Genève on est forcément politiquement plus intelligents que partout ailleurs, avec notre MCG à 15 ou 20 %, notre gauche « rose-verte » à 30 % et notre «gauche de la gauche» fragmentée en six formations dont aucune n'atteint seule le quorum électoral, on manque un peu de légitimité pour donner des leçons à qui que ce soit. Et même pour reprocher aujourd'hui à la gauche italienne de ne se poser la question « à qui la faute ? » qu'en ne répondant toujours (exercice auquel nous sommes nous-mêmes accoutumés) : « aux autres ». Forcément. Si Bersani n'a pas réussi à obtenir une double majorité claire, c'est la faute à Ingroia. Ou à Grillo. Si Berlusconi est remonté, c'est la faute à Bersani et à Grillo. Si la gauche de la gauche italienne se traîne misérablement à 1 %, c'est la faute à Bersani et à Ingroia. Si Grillo est à 25 %, c'est la faute à l'Europe.

La Tribune de Genève évoque, à propos des résultats des élections italienne, un «scenario catastrophe» -celui de l'«ingouvernabilité»... Le « scénario catastrophe», ce n'était pas le retour de Berlusconi, c'était -et c'est- l'absence de majorité. Les « marchés » ont plongé après avoir pris connaissances des résultats des élections italiennes. « Les marchés » votaient Bersani -ce qui, au passage, laisse planer comme une ombre de doute sur le contenu «de gauche» de l'alternative qu'il offrait à Monti. «Les marchés»  n'aiment pas les incertitudes. «Les marchés» veulent des gouvernements stables. N'importe quels gouvernements stables, même les pires. N'importe quel gouvernement, mais un gouvernement. L'Italie était «gouvernable» sous le fascisme. «Les marchés» n'aiment pas les pays « ingouvernables ». Et pour « les marchés », l'Italie est devenue «ingouvernable»... Bon, et alors ?
Comme le dit une pancarte de manif apparue sur Facebook, « mieux vaut des chevaux dans les lasagnes que des ânes au pouvoir ».

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