Après Minder, 1:12...

Un pour douze, douze pour un...

Après le Conseil National, le Conseil des Etats a, sans surprise, refusé (à trois contre un) l'initiative populaire « 1:12 » de la Jeunesse Socialiste, sans lui opposer de contre-projet. De son côté, le Conseil fédéral appelle, sans surprise, à refuser l'initiative syndicale pour l'instauration d'un salaire minimum légal. On aura donc, en septembre ou novembre prochain, un choix clair, en votation : accepter ou refuser la proposition que « le salaire le plus élevé versé par une entreprise ne (puisse) être plus de douze fois supérieur au salaire le plus bas versé par la même entreprise ». Et les sondages produits sur ces deux initiatives suggèrent qu'elles recueilleraient au moins la sympathie d'une majorité de l'opinion publique. D'où une certaine fébrilité à droite... Et quelques espoirs à gauche - mais qui ne se concrétiseront pas sans une forte mobilisation...


Ah, la belle campagne qui s'annonce...

A en croire les sondages, l'initiative 1:12 aurait donc, du moins pour l'instant, les faveurs de l'opinion. Que personne ne puisse gagner plus en un mois que son employé le plus mal payé en une année : cette idée simple séduirait aujourd'hui une majorité de citoyennes et de citoyens suisses. Dans la foulée de l'acceptation de l'initiative Minder, ce serait un deuxième coup de semonce, et plus vigoureux, et plus tonitruant encore que le premier, qui serait tiré contre les forteresses patronales. Qui s'en rendent d'ailleurs parfaitement compte, puisqu'elles ont successivement dessaisies Economie Suisse de la campagne patronale proprement dite, au profit de l'Union Suisse des Arts et Métiers plus proche des PME, et le PLR de la campagne politique, au profit de l'UDC plus proche d'une partie des sympathisants de droite de l'initiative -et ce sont ceux-ci qu'ils faut convaincre, puisque la gauche seule ne pèse qu'un tiers des suffrages dans ce pays. Il est patent que la campagne d'EconomieSuisse contre l'initiative Minder fut, le résultat du vote le prouve, aussi calamiteuse qu'elle fut dispendieuse, et que le PLR est bien trop perçu comme la courroie de transmission du grand patronat pour pouvoir convaincre le petit... On regrettera donc l'effacement du PLR et d'EconomieSuisse, ils nous avaient été bien utiles.

Mais que signifie, concrètement, cet écart de un à douze pour l'éventail des salaires (à Novartis, par exemple, il était de un à 900) ? Cela signifie que dans une entreprise où le salaire minimum est de 4500 francs par mois, le chef des chefs tout en haut de la chefferie ne pourrait pas toucher plus de 648'000 francs par an. De quoi vivre, tout de même. Et si on abaisse encore le salaire minimum, à 4000 francs par mois, soit en-dessous de ce qui est revendiqué par les syndicats, on se retrouve avec un salaire maximum de 576'000 francs par an. Toujours de quoi vivre... En 2007, ils étaient 12'500 en Suisse à pouvoir compter sur une telle rémunération. Et alors que les inégalités de revenu avaient reculé entre 1998 et 2001, elles ont recommencé à s'approfondir depuis : la situation des ménages les plus aisés n'a cessé de s'améliorer, pendant que celle des ménages les plus modestes a stagné.
On va certainement, pendant toute la campagne précédant la votation, entendre clamer haut et fort que l'acceptation de l'initiative 1:12 ruinerait toute espérance pour les entreprises de ce pays de s'adjoindre les compétences (hautement qualifiées) des meilleurs managers (hautement payés). Et qu'un écart salarial de un à douze rapprochait quasiment la Suisse de la Corée du Nord. Mais il se trouve que la quasi totalité des entreprises publiques, ou sous contrôle public, respectent déjà (comme la totalité des services publics) cet écart maximum de un à douze, sans qu'il soit perceptible que la qualité de leurs managers et directeurs soit (trois fois hélas) différente de celle des entreprises privées -nourris aux mêmes présupposés, fréquentant les mêmes milieux, et souvent sortis des mêmes filières, rien ne ressemble plus à un chef d'entreprise privée qu'un chef d'entreprise publique. Mais il n'y a pas que les entreprises publiques qui respectent déjà ce que propose l'initiative 1:12 : la majorité des PME sont dans le même cas -et on pourra le rappeler à l'USAM, syndicat patronal des PME, précisément, qui va faire campagne contre ce que la plupart des PME respectent déjà... On pourra également rappeler aux petites et moyennes entreprises qu'elles sont bien plus menacées par la sous-enchère salariale à laquelle la logique de la concurrence les incite à se livrer que par l'instauration d'un écart salarial maximum, ou d'un salaire minimum légal permettnt de vivre de son travail. Ce ne sont donc que les plus grandes entreprises privées qui seraient contraintes soit de baisser leurss plus hautes rémunérations, soit, pour les maintenir (ou les augmenter), d'augmenter les plus bas salaires. Notamment ceux versés aux femmes : en effet, le resserrement de l'écart des salaires aurait ce bénéfice collatéral non négligeable de progresser vers l'égalité salariale entre femmes et hommes, puisque les salaires des femmes restent, à travail égal, inférieurs (d'environ 18 %) à ceux des hommes, même en haut de l'échelle des traitements.

L'initiative de l'Union syndicale suisse pour un salaire minimum à 4000 francs serait acceptée par 76% des Suisses s'ils devaient voter aujourd'hui, selon un sondage publié dans Schweiz am Sonntag -mais ils ne voteront que l'année prochaine. Or sur l'initiative 1:12, ils voteront encore cette année. Et ils ne seraient que 49,5 % (contre 40 %) à l'accepter, selon un sondage du début du mois. La marge est trop faible pour qu'on puisse s'abstenir de se battre dans les mois à venir pour la conforter. Une belle campagne s'annonce donc, avec des fronts politiques très clairs, plus que pour l'initiative Minder. Une belle campagne pour un vote que nous pouvons gagner.
Que demande le peuple ? Des choix propositions claires ? Eh bien, en voilà une...

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