Commerce des armes : un traité est signé... Parole d'Etats...

L'Assemblée générale de l'ONU a adopté, contre seulement trois oppositions (la Syrie, la Corée du Nord et l'Iran), mais moyennant une vingtaine d'abstentions (dont celle de la Russie), un traité réglementant le commerce international (légal) des armes conventionnelles et de leurs munitions. La semaine précédente, le traité n'avait pu être adopté par consensus. Il interdit aux Etats de transférer des armes vers d'autres pays s'ils savent qu'elles risquent d'être utilisées pour commetre des «violations graves» des droits humains, ou de tomber entre les mains de terroristes. C'est-à-dire de terroristes « privés », les Etats étant évidemment, de leur point de vue, insoupçonnables de terrorisme. Parole d'Etats... On a beau ne pas se faire trop d'illusions sur ce genre de traités, on veut croire que celui-ci aura un effet positif. Il ne peut en tout cas pas avoir d'effet négatif -sauf pour les Etats gros importateurs d'armes violant « gravement » les droits humains et(ou liés à des groupes terroristes.
Mais ça existe, des Etats comme cela ? Noooon...


L'adieu aux armes ? pas encore...

Pessimistes comme nous le sommes parfois, nous n'attendions pas grand chose d'un raout où l'objectif de plusieurs des principaux convives était, au départ, de n'accoucher que d'un texte leur laissant à eux le choix d'interdire ou non d'exporter des armes vers tel ou tel pays, quitte, s'ils décident de les exporter, à ce que ces armes soient utilisées pour commettre des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des actes « terroristes ». En face de ces gros exportateurs (ce sont les Etats Unis, le plus gros d'entre eux, qui ont fait capoter la conférence de 2012 sur la régulation du commerce des armes), de plus petits (dont la Suisse) ont réussi à introduire dans le texte final une interdiction d'exportation vers des pays directement ou indirectement en guerre (interne ou externe), ou violant gravement les droits humains. Mais même ces petits Etats sont parfois (comme la Suisse, toujours) exportateurs de matériel militaire, y compris vers des pays que le traité qu'ils ont contribué à rédiger met, théoriquement sous embargo... Et ce commerce pèse lourd : celui des seules armes classiques a pesé 80 à  100 milliards de dollars en 2012.  En 2011, 70 % des livraisons mondiales d'armes ont été effectuées par les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU, les USA en tête (36,5 % du total, et plus de 16 milliards de dollars en valeur), suivis par la Russie (19,6 %, 8,7 milliards), le Royaume-Uni (6,8 %, 3 milliards), la France (3,8 %, 1,7 milliard) et la Chine (2,9 %, 1.3 milliard). Les USA et le Royaume-Uni exportent d'abord (pour les deux tiers de leurs exportations d'armes) vers le Maghreb et le Moyen-Orient, la Chine, la Russie et la France d'abord vers l'Asie. Les plus gros importateurs de la première région importatrice (le Maghreb et le Moyen-Orient) entre 2008 et 2011 étaient l'Arabie Saoudite (pour plus de 10 milliards) et l'Algérie, pour plus de 5 milliards de dollars, suivies d'Israël (pour quatre milliards). On évoque cette région en la qualifiant de «poudrière» ? on devrait plutôt la qualifier d'arsenal...

Le traité adopté est supposé obliger les Etats à évaluer les risques que présente la vente d'armes et/ou de munitions vers d'autres Etats. Dès lors, il donne aux ONG un peu plus de moyens pour enquêter sur le commerce des armes, et pour en ralentir le trafic. Un peu plus, pas beaucoup plus, car la formulation du texte reste assez vague sur plusieurs points importants et le traité ressemble encore à un filet aux mailles assez lâches pour laisser passer une partie de ce commerce vers des pays qui devraient ne plus pouvoir importer d'armes :  il ne concerne que des armes conventionnelles classiques (blindés de combat, hélicoptères, missiles, armes légères etc...), et leurs munitions, et il ne concerne que le commerce -pas la fourniture à titre amical ou solidaire de matériel militaire par un Etat à un autre, ni les accords d'assistance militaire -et évidemment pas la contrebande, même ouvertement facilitée par des Etats contournant ainsi les dispositions internationales (quand il y en a), voire leurs propres règles de droit. La Syrie, l'Iran, l'Egypte, la Corée du Nord  ne voulaient pas d'un traité contraignant, en invoquant la «sécurité nationale». L'Inde, le Pakistan, le Japon et l'Arabie Saoudite invoquaient, à l'appui de la même opposition, leur droit à la « légitime défense »... La plupart de ces Etats ont finalement renoncé à s'opposer au traité -est-ce à conclure que celui-ci est inoffensif ?

Et la Suisse, là dedans ? Si elle a été très active dans les négociations sur le contenu du traité et pour l'inclusion dans ce contenu de dispositions lui donnant un sens autre que celui d'une déclamation bénévolante, la Suisse est, elle aussi, exportatrice d'armes et de munitions, y compris vers des pays où désormais cette exportation devrait être interdite. On a ainsi retrouvé du matériel militaire suisse dans un pays en guerre : des grenades à main vendues par RUAG aux Emirats Arabes Unis en 2003 ont abouti dans les mains des rebelles syriens, après avoir transité par Dubaï et Abu Dhabi; en 2005, des obusiers blindés M-109 vendus aux Emirats avaient abouti au Maroc (en conflit larvé au Sahara ex-espagnol) et en 2011 des munitions vendues au Qatar s'étaient retrouvées en Libye, chez les rebelles antikadhafistes. C'est pas très glorieux, tout ça, mais ça atteste d'une certaine conception de la neutralité : on vend aux uns pour finir par équiper les autres, mais sans exclusive politique : les régimes en place et les rebelles sont traités avec une belle équité. C'est tout nous : pas sectaires... D'ailleurs, les exportations d'armes vers les Emirats, qui avaient été bloquées après la découverte des grenades, ont été débloquées par le Secrétariat d'Etat à l'Economie.
Business as usual, donc... Mais jusques à quand ? Ce que la Suisse a contribué à faire interdire par l'ONU, va-t-elle (enfin) se l'interdire à elle-même ?

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