Semaine genevoise contre le racisme : Un voile de confusions

Une « Semaine genevoise contre le racisme»  affiche cette profession de foi : « la diversité, une valeur suisse ». Comme si la « diversité » était une «  valeur » en soi, plutôt que la définition même de la société par opposition à la communauté, et comme si cette « valeur »  était particulièrement « suisse ». La «semaine genevoise contre le racisme» s'est ouverte par une exposition sur « le voile dans tous ses états », avec pour objectif celui de «replacer dans une perspective historique et anthropologique la polémique (..) sur le voile porté par les femmes appartenant à certaines communautés musulmanes ». Et nous voilà face à une confusion entre ce qui relève du racisme et ce qui relève du constat des diversités culturelles et religieuses. Une confusion doublée d'un amalgame entre la stigmatisation, condamnable, des « musulmans », et le refus, indispensable, d'admettre le primat de traditions religieuses ou culturelles sur les principes de la citoyenneté.

« La République ouverte qui se fiche des races et des origines »


Faire d'une « semaine contre le racisme« » une «semaine pour la diversité, qu'est-ce que cela peut bien signifier ? L'antiracisme est une valeur -la diversité n'est qu'un constat, et ce n'est pas du tout la même chose que se battre pour une valeur, et faire le constat d'une évidence. L'évidence, c'est que les sociétés sont diverses. Mais est-ce que la reconnaissance de cette évidence doit conduire à admettre la stricte équivalence de tous les éléments de cette diversité, et à condamner ceux qui  tiennent à affirmer qu'il y a des éléments de « diversité » qui non seulement ne méritent pas d'être défendus, mais qui doivent être combattus ? Il y a un refus de la « diversité » qui n'est qu'une nostalgie de la communauté, mais il y a aussi une affirmation  perverse de la diversité comme valeur, qui n'est qu'une légitimation du communautarisme, et  nous en sommes bien au stade où ce combat contre certaines pratiques traditionnelles se voit frappé de l'accusation d'intolérance. Sous-jacente, il y aurait donc, par exemple cette supposition, assez infâmante pour celles et ceux qu'elle vise, que l'opposition au «voile islamique» (qui n'est d'ailleurs pas plus « islamique » que n'importe quelle prescription patriarcale, comme celle présentes dans toutes les sociétés traditionnelles du bassin méditerranéen, y compris les sociétés chrétiennes et juives) relèverait du racisme. Une simplification aussi abusive que celle qui voue les défenseurs de la liberté individuelle des femmes de porter ce qu'elles veulent sur la tête à la damnation politique pour collaboration avec l'Ennemi intégriste...

Le racisme est l'absolu de la discrimination. La discrimination commence lorsque l'on impose à un groupe humain, quelque critère dont on use pour le définir, des obligations ou des interdictions que l'on impose pas aux autres, et le racisme commence lorsque l'on définit un groupe humain comme une « race » différente d'autres « races » humaines, alors qu'il n'y a qu'une et une seule « race humaine » depuis la disparition de Tonton Neanderthal. Et nous sommes bien placés, en Europe, pour savoir à quoi aboutit la définition d'un groupe religieux comme une race : cela aboutit à l'antisémitisme, au sens commun donné à ce terme, c'est-à-dire à l'antijudaïsme, aux pogroms, au génocide. Ce n'est évidemment pas le propos de ceux qui dénoncent la stigmatisation du « voile islamique ». Mais en ne différenciant pas cette stigmatisation du racisme, et en faisant donc de l'acceptation du « voile islamique » une revendication « antiraciste », on dilue la définition du racisme au point que le terme même ne veut plus rien dire, ou du moins plus rien de précisément définissable, et donc de précisément combattable.
Dénoncer l'obligation faite aux femmes de porter un voile, que cette obligation se fasse au prétexte d'une loi religieuse ou, plus franchement et plus clairement, par le respect de la bonne vieille loi patriarcale de l'appropriation symbolique des femmes par les hommes, ce n'est pas faire preuve de racisme, c'est au contraire dénoncer une discrimination, puisque cette obligation n'est précisément imposée qu'aux femmes. A contrario, ne proscrire de l'espace public que le « voile islamique » (ou les empaquetages « islamiques » plus complets encore des femmes, le tchador, la burqa) sans proscrire d'autres signes religieux comparables (après tout, les bonnes sœurs chrétiennes elles aussi sont têtes couvertes...), ce serait instaurer une discrimination à l'égard d'un groupe humain défini par sa religion. Avant d'être un héritage de l'islam, le port d'un voile dissimulant les cheveux, ou le visage, ou la totalité du corps des femmes est un héritage du patriarcat. Le démontrer, comme peut le faire utilement l'exposition organisée dans le cadre de la « Semaine genevoise contre le racisme », devrait avoir pour conséquence la condamnation, comme discriminatoire, de cette dissimulation forcée de la personne des femmes. Or par un curieux retournement, c'est la dénonciation de cette dissimulation discriminatoire qui devrait être considérée comme discriminatoire...

Si nous sommes de ceux qui s'opposent à ce que des signes religieux spécifiques (qu'ils soient musulmans ou non) soient arborés dans des espaces voués au débat et au prononcement politiques publics, c'est parce que nous tenons à ce que ce débat ne soit pas pollué par des références religieuses spécifiques. La citoyenneté, telle que nous la concevons, est universelle, et pour être universelle, elle doit être conçue comme indépendante des références personnelles. On est citoyenne et citoyen, pas citoyenne et citoyen musulman-e, chrétien-ne, athée... Et nous pourrions reprendre sans en changer un mot la phrase de Thierry Tuot, auteur d'un rapport au Premier ministre français sur la refondation des politiques d'intégration: « la grandeur est du côté de la République ouverte qui se fiche des races et des origines », mais en y ajoutant que « se ficher des races et des origines » c'est précisément définir la citoyenneté et ses droits en ne tenant aucun compte d'autre chose que des principes qui les fondent, sans les calibrer, les réduire ou les interpréter pour les rendre compatibles avec quelque tradition religieuse ou tribale que ce soit.

Commentaires

Articles les plus consultés