Une « affaire » exemplaire parmi d'autres : De quoi Cahuzac est-il le nom ?

Un ministre français du budget (et donc des impôts) carbonisé pour fraude fiscale, un ancien président de la République française inculpé pour abus de faiblesse, une Infante d'Espagne inculpée pour complicité dans les tripatouillages financiers de son mari, un ancien Président du Conseil italien traînant un stock de casseroles à rendre jaloux un quincailler : le « tous pourris ! » populiste a encore de beaux jours devant lui... Car de quoi Cahuzac est-il le nom ? Ce nom est un nom de famille, le nom d'une caste : celle qui peuple les allées du pouvoir ou aspire à les peupler, celle s'y prépare ou s'y vautre. La double ironie de l'« affaire Cahuzac » réside certes dans la chute d'un ministre « socialiste » qui voulait se faire passer pour le champion de la lutte contre la fraude fiscale et la pratiquait lui-même, mais aussi dans le fait que Cahuzac est tombé à la suite d'une enquête effectuée en Suisse, sur requête française. Et que si le secret bancaire était resté ce qu'il était, et ce que veulent réinstaurer l'UDC et ses alliés de droite, Cahuzac aurait pu continuer à se pavaner et à mentir comme un arracheur de dents...

Non seulement le pouvoir corrompt, mais en plus, il rend con...

La « vérité cruelle » que confirme le premier ministre Ayrault, la « faute morale impardonnable » que dénonce le président Hollande, est bien commune : elle s'appelle « sentiment d'impunité » de qui est au pouvoir, quoi qu'il dise et qu'il fasse. Que cette impunité tombe, et voilà le roitelet nu se confondant en lamentable contrition : « J'ai été pris dans une spirale du mensonge et m'y suis fourvoyé » explique Cahuzac, qui se dit « dévasté par le remords ». Le remords d'avoir fraudé, le remords d'avoir menti, ou le remords de s'être fait pincer ? S'il avait, dès les premières accusations, dit la vérité, il n'y aurait pas eu d'« affaire Cahuzac ». Mais il était ministre, il avait un rôle à jouer, et parce qu'il avait un pouvoir il se croyait détenteur d'une immunité que personne ne lui avait accordée, et en droit de fonctionner à partir du vieux précepte « faites comme je dis, pas comme je fais »...

Le président Hollande a annoncé plusieurs mesures pour «moraliser la vie politique». On peut, en effet, « moraliser la vie politique » -mais moraliser le pouvoir ? Il y a le pouvoir sur les choses, et il y a le pouvoir sur les gens. Le pouvoir sur les choses, ou plutôt l'administration des choses, c'est, exemplairement, celui qui s'exerce au niveau des communes - le seul où un pouvoir politique soit légitime. Le pouvoir sur les gens, le « gouvernement des hommes », est à fuir comme la peste (tant qu'on n'a pas intropduit un droit permanent de révocation populaire des autorités politiques). Car non seulement il corrompt, mais en plus il rend con.
Et plus on avance dans l'« affaire Cahuzac », plus les fronts politiques se dissolvent dans une connivence clanique -de quoi nourrir, s'il en était besoin, le « tous pourris » commun à tous les populismes : Marine Le Pen fait ses choux gras (et espère faire ses urnes pleines) du scandale ? C'est l'un de ses proches qui a ouvert un compte en banque à Genève pour Cahuzac... La droite traditionnelle, empêtrée dans l'inculpation de Sarkozy, espérait en profiter ? L'épouse, à l'époque, de Cahuzac est défendue par la sœur de l'actuel secrétaire général de l'UMP... Alors, Mélenchon et le Front de Gauche pourraient-ils tirer profit de l'« affaire Cahuzac » ? Peut-être. en l'absence de « Grillo français », mais pour en faire quoi, de ce profit ? Il n'y a pas d'élections législatives prévues avant quatre ans, pas de changement de majorité, pas de modification du rapport des forces politiques dans les institutions de la République. Il y en a certes un, déjà, dans l'opinion, mais il n'apparaît pas évident que ce soit la « gauche de la gauche » française qui en profite le plus. Et puis, même si c'était le Front de Gauche, improbable coalition constituée pour éviter la marginalisation de ses composantes, qui récupérait mécontents, indignés et révoltés de gauche, qu'en pourrait-il faire ? se transformer en parti de gouvernement pour finir par ressembler au PS et faire de la social-démocratie à sa place ?

Contemplons ce qui constitue aujourd’hui (et depuis au moins deux décennies) la base sociale des partis de gauche, y compris ceux de la « gauche de la gauche », et désignons-la : une base sociale de rentiers et de fonctionnaires, de cadres moyens et d’universitaires, d’hommes et de femmes aux niveaux de revenu, de fortune et de salaire supérieurs à la moyenne nationale. Les jeunes, les salariés du secteur privé sont sous-représentés. Les personnes en situation précaires absentes. Les exclus, exclus. Qu’attendre d’une telle base ? Qu’elle redéfinisse le contrat social ? Mais le contrat actuel est le sien ! Progressiste in pectore et conservatrice (quand elle n’est pas réactionnaire) in facto, elle consacre une énergie et des ressources considérables à dresser entre sa propre réalité et elle-même un rideau de scène voilant la première à son propre regard : cette « classe moyenne » se joue comme au théâtre, et, se jouant, elle surjoue pour remplir cet espace indistinct qu’elle occupe, entre un prolétariat dont elle nie l’existence pour nier le risque d'y « retomber », et une classe dominante dont elle singe les comportements sans disposer des ressources de ces comportements. Ne se voulant pas dominée mais l’étant tout de même, et ne pouvant être dominante mais affirmant l’être par le nombre, la classe moyenne pète toujours plus haut que son cul. Adhérant totalement au primat du signe social d’intégration, elle ne craint rien tant que le perdre....
Les pauvres possèdent trop peu pour valoriser le peu qu’ils ont; les riches possèdent assez pour en gaspiller une part; les classes moyennes, elles, possèdent assez pour perdre, et trop peu pour gaspiller. Le spectacle qu'elles donnent est le spectacle d’une recherche permanente de sécurité, la mise en scène du rêve d’ascension sociale.. Stendhal, déjà, le notait : « la grande affaire est de monter dans la classe supérieure à la sienne, et tout l’effort de cette classe est d’empêcher (les membres de la classe inférieure) de monter ». On comprendra que sur cet océan de frustrations et de ressentiments, ne peut se construire un mouvement socialiste –et que les mouvements anciennement ou prétendument socialistes qui, aujourd’hui, reposent sur une telle base ne peuvent plus garder du socialisme que le souvenir de leurs origines ou la vanité de leurs prétentions.

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