« C'est de l'Eluard... » : Rendez-lui visite à Evian, jusqu'au 26 mai

Cela fait plus de quarante ans, et que cela fut spontané ou calculé peu importe, ce fut peut-être le plus beau moment des austères conférences de presse de la Ve République française : le président Pompidou, à qui un journaliste demandait ce qu'il avait ressenti à l'annonce du suicide d'une enseignante, Gabrielle Russier, clouée au pilori pour avoir commis le crime d'une histoire d'amour avec un jeune homme de ses élèves, resta silencieux pendant une éternité -une minute, peut-être, mais une minute de silence, en direct, à la télévision, c'est interminable- et puis, après quelques mots (« je ne vous dirai pas ce que j'ai ressenti, ni même ce que j'ai fait... »), et encore quelques secondes de silence, dit quelques vers, (« moi, mon remord... ») et clôt la conférence de presse par « c'est de l'Eluard »...

« Il ne faut pas voir la réalité tel que je suis  »

C'était donc de l'Eluard, ce que citait Pompidou, plus passionné de poésie ce jour-là que de politique, et c'était de l'Eluard disant sa honte devant le spectacle des femmes tondues, humiliées, violentées à la Libération, par des «résistants» de la 25ème heure  :
« Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
A la robe déchirée
Au regard d'enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés
»

On a fait d'Eluard le « grand poète de l'amour et de la paix ». Il fut celui de l'amour, certes, mais aussi celui de l'incertitude et de l'inassouvissement. Il fut un poète de la Résistance et de la solidarité et fut tout cela en même temps : son célèbre « Liberté » poème litanique en hommage à la résistance, devait être un poème dédié à la femme qu'il aimait, et dont il remplaça le nom par le mot «liberté», l'amour et la résistance se confondant -dans la liberté que donne l'un et que veut regagner l'autre. Et s'il fut, par ailleurs, aveugle politiquement, et hagiographe de Staline, Eluard ne fut pas, loin de là, le seul. Pas le seul à  ne pas avoir la clairvoyance de Char. Pas le seul à n'avoir pas vu ce qu'il aurait pu, et dû voir, et comprendre, et condamner, de ce qui se passait dans le « camp » qu'il avait choisi -comme si un poète, ou qui que ce soit d'ailleurs, devait choisir un camp. Eluard, qui refusa d'intervenir en faveur des victimes (non moins staliniennes que leurs bourreaux) des procès de Prague, fut stalinien. Comme Aragon. Mais on pardonne à Eluard ce qu'on ne pardonne pas à Aragon. Parce qu'Eluard était sincère quand Aragon mentait, parce qu'Eluard ne savait pas ce qu'Aragon savait et taisait, parce qu'Eluard ne fut jamais que poète, même lorsqu'on le prenait ou le voulait comme porte-parole d'un parti : « Il ne faut pas voir la réalité tel que je suis  »...

Le 18 novembre 1952, à neuf heures du matin, Paul Eluard succombait à une crise cardiaque, à 57 ans. Son coeur avait lâché. Son coeur, trop grand, forcément... mais
« Le jour est proche ô mes soeurs de grandeur
Où nous rirons des mots guerre et misère
Rien ne tiendra de ce qui fut douleur
Chaque visage aura droit aux caresses
».

* Vous pouvez encore rendre visite à Paul Eluard, à Evian (Palais Lumière), où une exposition lui est consacrée, à lui,à ses amis (Picasso, Breton, Ernst,Giacometti, Magritte...), à ses amours (Gala, Nush, Dominique), aux amours de ses amours, à son parcours, à ses paroles et à ses silences... jusqu'au 26 mai (www.ville-evian.fr)

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