Contingentement de l'immigration en Suisse de travailleurs européens : Le lac des signes

Le 1er mai, fête internationale des travailleuses et des travailleurs, est entré en vigueur en Suisse un contingentement de l'immigration de travailleuses et travailleurs européens, décidé par le Conseil fédéral, qui a activé la « clause de sauvegarde » des accord bilatéraux pour « donner un signe » aux xénophobes et europhobes (de droite et de gauche) dans la perspective de votations à risques : sur l'élargissement de la libre circulation des personnes à la Croatie, sur l'initiative de l'UDC contre « l'immigration de masse » et sur celle des écoxénophobes d'Ecopop. C'est un signe de quoi, que nous donne ainsi un gouvernement mué en sémaphore ? Qu'on nous prend tous pour des cons (disons : des canards crétins du lac des signes). Parce que le Conseil fédéral lui-même sait, et admet à demi-mot, que le contingentement qu'il a décidé ne sert à rien. Et n'est que de la bouillie pour les chats mélangée à de la poudre de perlimpinpin et servie derrière un écran de fumée.

Le contingent pour les pauvres, le forfait fiscal pour les riches

Donc, le sémaphore gouvernemental a donné un signe qui, sans même calmer l'UDC  (dont le bras armé, l'ASIN, a réclamé dimanche la résiliation pure et simple des accords bilatéraux), conforte les discours xénophobes et accrédite l'idée que ce sont les immigrants qui sont responsables du dumping salarial et de la dégradation des conditions de travail, et pas les patrons qui les embauchent, fixent leur salaire et déterminent leurs conditions de travail. Que ce sont aussi les immigrants qui sont responsables de la crise du logement, et pas la politique foncière et le respect fétichiste des zones agricoles et des zones villas. Que ce sont enfin les immigrants, toujours eux, qui sont responsable de la surcharge des infrastructures, et pas ceux qui privent les collectivités publiques des moyens financiers (c'est-à-dire des ressources fiscales) nécessaires à leur adaptation...
Selon la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, On contingente les travailleurs, parce que « le chômage explose dans les pays du sud de l'Europe ». Mais on ne contingente pas les planqueurs de pognon ou les amateurs de retraites dorées avec forfait fiscal à la clef... Pour les pauvres, le contingent, pour les riches, le forfait fiscal, c'est bien cela, on a bien compris ? L'effet quantitatif du contingentement de l'immigration européenne (une mesure « inadéquate et démagogique » , comme l'a justement qualifiée le président du Conseil d'Etat genevois, Charles Beer)  sera désiroire : on l'estime, au maximum, à 2500 ou 3000 autorisations en moins par an. Et seulement pour un an, puisque le contingentement n'est valable qu'un an, non renouvelable. De plus, il ne s'applique qu'aux permis B et ni aux permis L (de courte durée) délivrés à des Européens, ni aux permis G (frontaliers, mais pouvant venir de toute l'Europe...) et une bonne partie des permis B perdus, sinon la totalité, seront compensés par des permis de courte durée.  Enfin, sur les environ 1,2 million de ressortissants de l'Union Européenne qui vivent légalement en Suisse, aucun-e ne la quittera parce que le gouvernement fédéral a gesticulé en direction de l'électorat udéciste -en revanche, bien de celles et ceux qui auraient légalement pu venir travailler en Suisse et en seront empêchés par le contingentement de l'immigration, viendront quand même -mais illégalement pour travailler illégalement pour des salaires illégaux et dans des conditions illégales, pour occuper des emplois dont ni les Suisses, ni les étrangers résidents ne veulent plus...

Si le Conseil fédéral voulait réellement combattre le dumping salarial, il aurait à sa disposition trois types de mesures : le salaire minimum (porté par une initiative syndicale), l'extension des conventions collectives prévoyant des salaires minimums, et le renforcement des dispositifs de contrôle du respect des conditions légales et conventionnelles de travail et de salaire. Or le même Conseil fédéral qui introduit le contingentement de l'immigration en sachant qu'il ne sert à rien, s'apprête à combattre le salaire minimum en sachant qu'il sert à quelque chose, et ne fait à peu près rien pour accroître les moyens nécessaire à assurer le respect des conventions collectives et des lois sur le travail. Et le même gouvernement qui adopte une mesure inutile pour rassurer l'électorat avant des votations importantes, combat l'idée de son élection par le peuple en nous expliquant qu'elle conduirait à placer ses membres en campagne électorale permanente et nourrirait la tentation de céder à la démagogie ? Fait-il autre chose, en justifiant l'activation de la «  clause de sauvegarde » par « les craintes de la population », que ce qu'il invoque comme un risque -celui de la démagogie, précisément ?
Nous savons bien qu'à gauche, la « libre-circulation » n'a pas forcément bonne presse, et qu'on y voit parfois une pure traduction des dogmes « néo-libéraux » ... mais on parle tout de même ici d'un droit des personnes, et donc d'un droit de travailleuses et de travailleurs d'aller chercher du travail là où il y en a -en l’occurrence, chez nous... De plus, la « libre circulation »  n'est pas à sens unique et 500'000 Suisses et Suissesses en ont déjà profité (l'accord bilatéral sur la libre circulation des personnes est fondé sur le principe de l'égalité de traitement entre ressortissants suisses et européens).

S'opposer à la libre-circulation en soi n'est pas une position de gauche, mais bien une posture réactionnaire, et xénophobe : le retour aux contingentement (certains rêvant même de la résurrection du statut de saisonnier), n'améliorera en rien les conditions de travail et de salaire en Suisse : «  On ne défend pas les travailleuses et les travailleurs avec un « non » (à la libre-circulation) mais en s'alliant avec les autres syndicats européens pour combattre le dumping social et la sous-enchère salariale », déclarait une déléguée d'Unia lors de l'assemblée qui décida en 2008, du soutien du syndicat à la reconduction de la libre circulation des personnes et de son élargissement à la Roumanie et à la Bulgarie. Cette position est toujours la nôtre. Et à nous aussi, comme à la chercheuse belge Annick Stevens, de la revue Refractions... il semble « inadmissible que la surface entière du globe soit possédée par des Etats dont les oligarchies décident de qui a le droit de s'établir sur leur territoire et qui n'en a pas le droit ».

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