De la « purification » et du « coup de balai » : 6 ou 12 février 1934 ?



Trois jours après les « aveux » de l'illustre Cahuzac, le leader du Front de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, a appelé à une « marche pour la VIe République », le 5 mai, pour «  purifier l'atmosphère politique » et donner un «  grand coup de balai ». Il y a des mots dont on ne devrait faire usage qu'avec une extrême prudence, surtout quand, comme Mélenchon, on connaît son histoire politique française sur le bout du poing. On comprend bien qu'il ne faut pas laisser le terrain à la famille Le Pen (quitte, au passage, à bouffer un bout de celui de Hollande), et que c'est là bonne action et oeuvre salutaire, mais faudrait quand même faire gaffe à la rhétorique dont on use : celle du « coup de balai » et de la « purification », en France,  fait plutôt 6 que 12 février 1934, plutôt ligues que Front Populaire...


« Tous pourris, sauf moi »

Il y a au moins trois enjeux politiques essentiels que Jean-Luc Mélenchon et le Front de Gauche ont raison de poser et de vouloir relever : ne pas laisser le terrain de la protestation populaire à l'extrême-droite, ne pas laisser la gauche se réduire à la gauche de gouvernement, et proposer un changement des institutions politiques. Autrement dit, être porteur à la fois d'une alternative à l'« austérité » et d'une alternative aux institutions telles qu'elles sont. Mais c'est-là tout autre chose qu'un appel au « coup de balai », qui n'est en soi qu'un appel au changement du personnel politique, qui finit par submerger ce au nom de quoi il est lancé : le changement DE politique.
Disputer le terrain de la protestation populaire à l'extrême-droite (et cela ne vaut pas que pour la France) : on sait bien que l'extrême-droite n'est pas, il s'en faut de beaucoup, plus «propre» que le « milieu politique » qu'elle dénonce en se drapant dans des oripeaux de pureté aussi douteux que le personnel qu'ils drapent. N'attendant rien d'elle, sinon ce qu'elle a toujours produit, on ne pourra pas être surpris de ce qu'elle offre. La famille Le Pen a aussi planqué son pognon en Suisse, et autour du funeste Cahuzac (dont on ne dira cependant jamais assez quelle aide inespérée il a apporté au combat contre les paradis fiscaux, le secret bancaire et le secret fiduciaire) gravitent nombre de personnages aux provenances politiques ultra-droitières (Front National, GUD...). A tribord, donc, rien de nouveau, nulle part (à Genève, les deux chefs du MCG se trouvent à la tête de sociétés offshore au Panama). Mais c'est à gauche qu'on est surpris par la tonalité assez démagogique d'un «  appel au peuple » se traduisant par l'invitation au « coup de balai ». Après tout, la gauche de la gauche elle-même est constitutive du «  milieu politique » : elle siège à l'Assemblée et au Sénat, elle détient des Mairies, et si elle n'est pas représentée au gouvernement, ce n'est pas qu'elle y est interdite, c'est qu'elle a choisi (et c'est d'ailleurs tout à son honneur, et à sa cohérence) de n'y pas en être...

La vieille obsession purificatrice de la politique vient de loin, et la politique la régurgite à chaque crise. A court terme, à cette tentation de l'épuration, à cette proclamation du « tous pourris» (sauf moi), il peut être répondu par la transparence... Celle des liens d'intérêts, des revenus et de leur source, de la fortune et de ce qui la constitue. Parce que c'est celle-là seule qui est indispensable à un choix conscient, et donc informé, de qui va nous représenter (si tant est que nous devions l'être) et à qui nous allons accorder un pouvoir (si tant est que nous nous y résolvions). Pour le reste, savoir qui aime qui, qui baise qui et où et comment, qui mange quoi et avec qui et quand, qu'importe? la transparence n'est pas le voyeurisme, et nul ne devrait attendre, des « politiques »  qu'ils (et elles) soient parfaits. Laissons la sainteté aux religions :  le Prince de Machiavel nous sera toujours de plus d'enseignement que l'Imitation de Jésus-Christ. Mais si on n'attend pas de qui est supposé nous représenter plus d'exemplarité qu'il ou elle n'en peut offrir, et que nous n'en méritons nous-mêmes, on est en droit de savoir quels fils sont attachés à quelles pattes. Et si cette « transparence » n'est évidemment pas une condition suffisante de la légitimité des « représentants du peuple »  et des gouvernants, elle en est une condition nécessaire. Et si elle ne suffit pas au changement institutionnel et à un changement de politique, nécessaires tous deux, en France comme à Genève, elle leur est indispensable, pour lever sur ceux qui proposent ces changements le soupçon de ne les proposer que pour servir leurs intérêts -et de ne proposer une « purification »  que pour prendre la place de ceux dont on aura « purifié »  l'Etat, la République, la Nation, le parti ou le prolétariat (c'est au choix, et c'est cumulatif).

« Tous pourris sauf moi » : de la droite de la droite et de la gauche de la gauche résonne cette prétention apologétique et apodictique, affirmée au nom d'un peuple qui aura vite fait de considérer ceux qui dénoncent à l'instar de ceux qu'ils dénoncent, et de ne garder de la dénonciation que le « tous pourris ». Car, qu'elle le convoque un 5 mai ou un 6 février, aucune force politique n'est « le peuple », ni ne peut parler en son nom. Ni au nom du prolétariat ou de la nation. Une force politique ne peut jamais parler qu'en son nom à elle, et ce qu'elle dit n'aura jamais de sens que si cela dit un projet politique. Or un « coup de balai »  n'est pas un projet politique, et ne fait jamais que soulever la poussière pour la laisser retomber ailleurs.
Le 6 février 1934, l'extrême-droite française lançait ses troupes à l'assaut du parlement en dénonçant la corruption de la République. Six jours plus tard, le à l'initiative des syndicats, toute la gauche se retrouvait dans une gigantesque manifestation de défense de la République et des libertés. En six jours, deux conceptions de la politique, de la société, de l'histoire, s'affrontèrent. La première sera la matrice de Vichy, la seconde les prémices du Front Populaire.
Nous ne sommes plus en 1934 ? certes. Mais ces deux cultures politiques, elles, s'affrontent toujours : celle du «  coup de balai », et celle de l'alternative. La droite de la droite, la gauche de la gauche.


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