Gauche : L'attente d'un Risorgimento

Bientôt le jour du muguet et des manifestes...

Nous approchions, à petit pas comptés, du Premier Mai. Jour de la fête des travailleuses et des travailleurs. Et que fait le militant de gauche, ce jour là ? Il manifeste. Et parfois pond un manifeste. Toujours proclamatoire, généralement autoproclamatoire, assez souvent péremptoires. Nous sacrifiâmes donc, par une sorte de brouillon d'introduction à un manifeste, à ce rite qui emplit nos archives, mais qui nous permet aussi de faire un petit état de nos lieux politiques. Et celui de la gauche en Europe mérite autant une analyse qu'un diagnostic, au sens médical du terme. Car s'il fallait en un mot le qualifiier,  nous userions sans doute du mot « débilité », en son strict sens : une faiblesse maladive. Mais qui peut se soigner. Par un risorgimento -qui se fait certes attendre, mais n'en est peut-être que plus urgent.

La possibilité, à défaut de la promesse, d’une gauche résurgente

En parlant de la « débilité »  de «  la gauche », nous usons du mot « gauche» comme d’un synonyme de «mouvement socialiste », au sens le plus large du qualificatif, de la social-démocratie au socialisme libertaire, la question de la propriété étant finalement celle sur laquelle se joue le clivage entre ce mouvement et ses adversaires : est socialiste toute organisation pour qui la propriété collective prime sur la propriété individuelle et la propriété publique sur la propriété privée. Tout le reste est accessoire, et plus accessoires encore que tout les références au « progrès » et à la « modernité »... Quant à sa «  débilité », elle ne frappe pas la gauche seule; en vérité, depuis la Guerre Mondiale, les partis politiques ne sont plus nulle part dans notre monde (celui du « centre », celui qui se qualifiait lui-même, et lui seul, de « développé »), les lieux de l’inventivité sociale, et tout au plus pouvaient-ils encore être les réceptacles de la créativité sociale telle qu’elle s’exprimait –et s’exprime encore- ailleurs. Cette dernière ambition reste pour l’heure la plus haute que nous puissions avoir pour les partis politiques de la gauche européenne. Faut-il pour autant nous résigner à ce que le maximum du possible ici et maintenant n’atteigne pas le minimum du souhaitable, ni même le médian du nécessaire ?

Pour des millions d’habitants de notre semi-continent, le  monde tel qu’il est est invivable et sont inacceptables les règles du jeu social telles qu’elles nous sont imposées. Nous savons (pour parfois en être) que la gauche institutionnelle (ou ambitionnant de l'être), de la social-démocratie au « communisme » en passant par les derniers surgeons d'une gauche « révolutionnaire »  désormais réduite à être « la gauche de la gauche», et sans oublier les syndicats, a pris sa part de la construction de ce monde et de la définition de ces règles. Nous conviendrons enfin que nous ne sommes pas sortis du capitalisme, et que notre problème est toujours celui que se posèrent les fondateurs du mouvement ouvrier international : celui du dépassement du capitalisme. Mais nous ne nous trouvons plus dans la situation ni dans le rôle de ces grands anciens. Si le problème est toujours celui du capitalisme, et si nous persistons à penser sa solution par le socialisme, nous devons aussi admettre que la gauche telle qu’elle est fait désormais partie du problème, non plus de la solution.
Il nous faudrait par conséquent faire ressurgir une gauche qui, pour être porteuse d’une réponse socialiste au problème du capitalisme, soit aussi radicalement socialiste que radicalement anticapitaliste. Or nous savons que ces deux radicalités ne se confondent pas, et qu'il y a de l'anticapitalisme (celui des imbéciles, certes, mais il ne nous paraît pas que cette imbécilité le rende plus faible) dans le fascisme et la théocratie. Il nous importe donc de préciser les conditions de leur conjugaison, conditions hors de quoi le projet socialiste se dissoudrait dans la quotidienneté des pratiques institutionnelles, en même temps que l’anticapitalisme dans la démagogie des populismes réactionnaires.

Il y a cependant dans cette gauche moribonde la possibilité, à défaut de la promesse, d’une gauche résurgente. De s’être abandonnée à l’air libéral du temps, la gauche paie le prix mais à ses marges, dans et hors ses organisations traditionnelles (mais jamais à leur tête lorsqu’elle en est, ni en quête d’organisation nouvelle à créer lorsqu’elle n’en est pas), une gauche résurgente est née. Si le déclin de la gauche traditionnelle est irréversible (du moins en tant que gauche : elle peut toujours convoiter l’espace, plastique, du «centre mou», ou celui du populisme protestataire), la naissance d’une nouvelle gauche est possible en usant des quelques points d’appui que peuvent encore offrir partis politiques socialistes et syndicats. Il s’agit alors non d’en prendre le contrôle, mais de les subvertir, de les transformer en autre chose que ce qu’ils sont –bref, de les déplacer hors du champ qu’ils occupent, d’en faire quelque chose qu’ils sont hors d’état d’imaginer -et que nous n'imaginons sans doute pas nous mêmes.

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