Elections cantonales genevoises : Des votes pour des nèfles ?

Les élections cantonales genevoises approchent : ça se sent au ton du débat politique, aux initiatives et aux référendums lancés, à la volonté des partis de tout faire pour se distinguer les uns des autres, y compris de leurs alliés. On ne se risquera pas (encore) ici à faire des pronostics de résultats, sinon celui-ci : plusieurs des listes qui concourront aux élections cantonales de cet automne (les Verts libéraux, les bourgeois démocratiques, les pirates...) seront sans doute condamnées par la barrière du quorum à avoir fait campagne pour des prunes, et leurs électeurs à avoir voté pour des nèfles. C'est d'ailleurs pour éviter ce sort que les divers groupements de la « gauche de la gauche » se sont unis (du moins pour l'instant) sous une bannière unique. En creux de l'échéance électorale se pose donc la question du quorum, de sa légitimité, de ses effets -et, pour nous, de la nécessité de l'abolir. Une initiative abolissant le quorum serait donc une excellente initiative, même si elle devait être lancée par une coalition de carpes de gauche et de lapins de droite.

Abolir le quorum : une exigence démocratique

Il paraît que les petits partis genevois plancheraient ensemble sur une initiative visant à abolir le quorum électoral de 7 % qu'il faut atteindre pour pouvoir être représenté au Grand Conseil et les Conseils municipaux élus à la proportionnelle (si on n'atteint pas ce seuil, les suffrages qu'on a récolté sont purement et simplement tenus pour non avenus, et les partis qui ont atteint ce seuil se répartissent la totalité des sièges). On ne sait pas ce qu'il en est de cette étrange coalition (si elle existe) de partis (les Verts libéraux, le parti Pirate, les « bourgeois démocratiques », les évangéliques, les diverses composantes de la « gauche de la gauche ») qui n'ont pas grand chose, politiquement, en commun, sinon d'avoir fait ou de risquer devoir faire campagne électorale pour des prunes.

A quoi tient la légitimité d'un parlement, dans un système de démocratie représentative (même mâtinée de démocratie directe) ? A sa représentativité, précisément. C'est-à-dire à sa capacité d'être directement produit par les choix contradictoires des citoyennes et des citoyens. Lorsqu'au surplus, ces choix s'expriment dans le cadre d'élections à la proportionnelle, la représentativité du parlement élu se mesure au respect des proportions respectives des électorats des listes en présence. Or à Genève, aujourd'hui, tel n'est pas le cas : un quorum de 7 % traîne encore dans la constitution genevoise depuis 1912, repris tel quel dans la nouvelle constitution au prétexte de permettre l'élection d'un parlement formé de majorités et de minorités stables -prétexte dont l'exemple de l'actuel Grand Conseil suffit à démontrer l'inanité. En dessous de 7 % des suffrages, les listes concourant à l'élection ne sont tout simplement pas représentées. 7 % des suffrages, cela représente des milliers d'électrices et d'électeurs dont les votes sont tenus pour équivalant à des votes nuls.
Cette barrière est la fois discriminatoire et antidémocratique. Antidémocratique parce qu'elle annule de fait les votes, pourtant valables, des électrices et électeurs des petits partis, et fait littéralement cadeau aux partis ayant passé la barre du quorum des sièges qui auraient pu être attribués aux partis restés en dessous. Celles et ceux qui ont voté pour un petit parti de gauche voient ainsi une partie de leurs suffrages se traduire en sièges supplémentaires pour des partis de droite, et celles et ceux qui ont voté pour un petit parti de droite font cadeau de sièges supplémentaires à des partis de gauche. Sous l'apparence d'une mesure de lutte contre la dispersion des voix, on a un véritable travestissement des choix électoraux -un travestissement qui peut aller jusqu'à l'annihilation d'un quart des votes, et pourrait même, théoriquement, pour peu que les listes restant en-dessous du quorum soit suffisamment nombreuses, annihiler le quart, le tiers, voire la majorité des votes.

Cet automne, des milliers d'électrices et d'électeurs voteront vraisemblablement pour rien. Et un parlement sera élu qui non seulement le sera par une minorité de la population (puisque les étrangers ne disposent pas du droit de vote au cantonal), et vraisemblablement aussi par une minorité du corps électoral (l'abstention dépasse généralement les 50 % lors des élections cantonales), mais ne sera même pas représentatif des choix de celles et ceux qui auront fait usage de leurs droits démocratiques. On ne saurait plus clairement montrer en quelle piètre estime l'on tient ceux-ci, qu'en rendant nul et non avenu son exercice par des citoyennes et des citoyens dont le seul tort est d'avoir exprimé leur préférence pour un parti politique, ou un mouvement, ou une liste, qui, parfois pour quelques bulletins, « rate » la marche du quorum. Or aucun parti, aucun mouvement, ne peut se croire préservé du risque de tomber sous ce couperet : le Parti du Travail fut pendant plus d'une décennie le premier parti de Genève -il est contraint aujourd'hui de participer du cadavre exquis de la «gauche de la gauche» pour se donner quelque chance d'être encore représenté au parlement de la République (ou de la Commune) -le parti radical a-t-il d'ailleurs fusionné avec le parti libéral à Genève, et le parti libéral avec le parti radical dans d'autres cantons, pour un autre motif que celui de l'instinct de survie parlementaire du courant politique qu'il représente ?  Et cet automne, qui peut garantir à l'UDC et au PDC d'être préservés d'une expulsion dans l’éther extra.-parlementaire, aux côtés des pirates, des verts libéraux et des bourgeois démocratiques, voire d'une nouvelle liste, autonome, de la gauche de la gauche de la gauche vraiment à gauche (contrairement au reste de la gauche de la gauche) ?
Dans ces conditions, et pour que les parlements aient la légitimité qu'ils prétendent avoir, l'abolition pure et simple du quorum s'impose, et même si on n'y croit pas une seconde on l'écrit tout de même : le parlement élu cet automne s'honorerait à en présenter lui-même la proposition d'abolir le quorum. Même si elle n'est nullement dans l'intérêt des principales forces politiques qui le composeront. et qui semblent fort bien se satisfaire de pouvoir récupérer, par le mécanisme d'un système électoral injuste, des sièges auxquels le résultat des élections ne leur donne aucun droit.

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