Une prison bourrée de gens qui n'ont rien à y faire : Champ dolent

Fin 2010 déjà, 800 personnes étaient détenues à Genève dans les divers lieux voués à cette haute fonction : Champ-Dollon, la Pâquerette, le quartier cellulaire de Belle-Idée, Favra, le Vallon, Riant-Parc. la Brenaz, Villars, Montfleury, Frambois et les « violons » du Palais de Justice. Deux ans et demi plus tard, ce nombre total de détenus dans toutes les prisons genevoises était dépassé par la seule prison de Champ-Dollon.... et le bâtonnier de l'Ordre des avocats genevois, François Canonica, constate comme nous qu'une partie des personnes qui se trouvent à Champ-Dollon n'ont « rien à y faire ». De l'aveu même du département de la Sécurité, un détenu de Champ-Dollon sur huit (12 % du total des détenus) est entré en prison en avril pour le seul motif de «séjour illégal» en Suisse. Autrement dit, pour punir quelqu'un de séjourner illégalement en Suisse, on l'oblige à séjourner légalement à Genève. L'intelligence de la politique carcérale genevoise saute aux yeux, quand Champ-Dollon devient un champ dolent.

Arrêter celui qui ne veut pas « arrêter d'arrêter »...

Douze pourcent des détenus incarcérés à Champ-Dollon en avril l'ont donc été pour le seul motif de leur séjour illégal en Suisse. C'est autant que les personnes incarcérées pour vol, deux fois plus que celles incarcérées ou dommage à la propriété ou violation de domicile, quatre fois plus que pour brigandage, douze fois plus que pour des délits d'ordre sexuel (viols, pédophilie). Et on peut ajouter à ces 12 % de détenus qui n'ont rien à faire dans une prison préventive, les 2 % qui y sont pour convertir des amendes en jours de prison... Pierre Maudet, à propos de la surpopulation de Champ-Dollon déclarait fièrement dans Le Matin Dimanche : «Je ne vais pas arrêter d'arrêter» sous prétexte qu'il y a trop de monde en prison et qu'on y met des gens qui n'ont pas à y être... Est-ce que quelqu'un pourrait expliquer à Maudet qu'il n'est ni policier, ni juge, ni procureur, mais Conseiller d'Etat, qu'il n'a donc à arrêter personne, et qu'on ne lui demande que de faire son boulot ? Et que son boulot n'est pas de bourrer les prisons jusqu'à ce qu'elles explosent ?

Au lendemain d'une manifestation des gardiens de Champ-Dollon, protestant contre leurs conditions de travail, la section genevoise de la Ligue des Droits de l'Homme a opportunément rappelé aux « décideurs » politiques incapables de décider autre chose que la construction de nouvelles prisons, qu'il existait d'autres sanctions pénales que l'emprisonnement, et que la surpopulation carcérale pouvait être évitée si ces sanctions alternatives étaient appliquées, rien ne justifiant qu'elles ne soient pas (sinon la tentation de caresser dans le sens du poil l'humeur «sécuritaire» de l'opinion publique). La Ligue a également rappelé qu'il était « inadmissible, que ce soit sur un plan éthique, juridique ou pragmatique » que Champ-Dollon, prison préventive, soit utilisée comme centre de rétention d'étrangers en situation irrégulière. Alors, quand Pierre Maudet assure (dans Le Temps, cette fois) vouloir «travailler sans tabou» pour résoudre le problème de la surpopulation de la prison de Champ-Dollon, on a comme un ldoute : « sans tabou », vraiment ? Alors il va peut-être renoncer à la bourrer de gens qui n'ont rien à y faire, la prison? Non. Faut pas pousser. Sans tabou, mais pas sans calcul, le Maudet, à quelques mois des élections : vider la prison de ceux qui n'ont rien à y faire, c'est pas porteur. Ce qui est porteur, c'est d'y enfourner un maximum de gêneurs. Et d'en construire de nouvelles, des prisons. Des tas de nouvelles. Qu'on pourra bourrer à leur tour... Aux matons, Maudet dit « partager leur désarroi». Il peut, il en est en grande partie responsable. Et ce partage-là est de toute façon moins périlleux que celui de leur quotidien.
Plus de 170 gardiens ont protesté le 8 avril devant Champ-Dollon, puis devant Favra, contre la surpopulation de la prison et la détérioration de leurs conditions de travail, devenues inacceptables. La manifestation des gardiens a été suivie d'une manifestation d'une cinquantaine de détenus, qui ont refusé de regagner leurs cellules après le repas (pris dans le couloir de leur quartier) -et il aura fallu faire intervenir la gendarmerie pour ramener le calme. « ça va devenir invivable en cellule quand il fera chaud », préviennent les gardiens. A six dans des cellules prévues pour trois, à trois dans des cellules prévues pour un, en effet, les détenus ne vont pas rester calmes longtemps. « L'office de la détention est incapable de prendre les mesures qui s'imposent (...) et les promesses du magistrat Pierre Maudet rendent les fous joyeux » a déclaré le président du syndicat des policiers et des gardiens de prison. Mais on attend peut-être que les « fous joyeux » deviennent gardiens de fous furieux pour commencer à se dire qu'une politique pénitentiaire ne peut pas se résumer à un jeu de chaises musicales dans les institutions carcérales et l'Office de la détention (on vire, on suspend, on déplace, on nomme pour ensuite dégommer...) et à la fabrication d'une cocotte-minute à Champ-Dollon.

Il commence à être temps d'arrêter celui qui ne veut pas « arrêter d'arrêter »...

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