Anniversaires socialistes et syndicaux : 1888, 1918, et maintenant ?

Samedi dernier, le Parti Socialiste Suisse célébrait ses 125 ans. Et dans cinq ans, on célébrera le centenaire de la Grève Générale de 1918, la première et la seule que la Suisse ait connue. Cette grève, historique, lancée par l'Union Syndicale Suisse et le Parti Socialiste Suisse regroupés dans le « Comité d'Olten », fut aussi fondatrice de la Suisse moderne que la révolution radicale, septante ans auparavant. Pour autant, les mérites passés ne fondent pas une légitimité politique présente -et on le voit bien avec le PLR. La question qu'il convient de se poser aujourd'hui est donc : quel « cahier de revendications », avec quels moyens pour le mettre en œuvre, peut tenir le rôle que tint celui de la Grève Générale de 1918 ?

Ce n'étaient que des débuts, continuons les combats...

Le  président du PSS, Christian Levrat, a parfaitement raison lorsqu'il déclare (dans le Matin Dimanche du 8 septembre, que « si en 1848, les libéraux ont donné une ossature institutionnelle à notre pays, nous, le PS, on lui a donné son sang, son coeur ».  Avec le mouvement syndical. La révolution radicale de 1848 («libérale» dans son qualificatif alémanique, freisinn...) et la grève générale de 1918 ont toutes deux changé la Suisse. La révolution, presque immédiatement. La grève, dans le demi-siècle qui suivit. La révolution radicale fut victorieuse, la grève ouvrière fut, apparemment, défaite. Apparemment, seulement. Parce qu'elle était sans doute, en Suisse, trop en avance sur son temps, alors que la révolution qui l'avait précédée de soixante ans épousait le sien. Et puis, il y a la différence des instruments dont la révolution et la grève se dotèrent, et des rapports de force dont la première bénéficia, et la seconde souffrit (elle fut réprimée par notre glorieuse armée de milice, aidée d'autres milices, volontaires celles-là, patronales et paysannes, mobilisées par la droite et l'extrême-droite de l'époque). Il n'empêche que pour la droite politique et patronale, qu'elle soit issue des vainqueurs de 1848 ou de leurs adversaires vaincus, l'alarme de 1918 fut si chaude que dans les vingt ans qui suivirent, on vit le patronat conclure avec les syndicats une paix, certes à son avantage (la « paix du travail »), mais qui impliquait une reconnaissance à la fois formelle et fondamentale des organisations ouvrière à qui il déniait encore vingt ans auparavant toute légitimité. Quant à la droite politique, suivant la même évolution, elle accepta six ans après la signature de la « paix du travail », l'entrée au gouvernement fédéral d'un socialiste, qui en 1918 était membre du comité d'Olten organisateur de la Grève Générale -un accord lui aussi à l'avantage de la droite politique, mais qui lui aussi impliquait la reconnaissance de la légitimité de celui avec lequel cet accord était passé.

Le Parti socialiste suisse est né des syndicats, de leur volonté de se doter d'un instrument politique pour prolonger, dans les parlements, les combats menés dans la rue et les entreprises. Et c'est en commun que le parti et les syndicats, réunis dans le Comité d'Olten, organisèrent la Grève Générale de 1918 -et en commun aussi qu'ils en subirent la répression policière, militaire et judiciaire, les militants de l'un rejoignant les militants des autres -et ceux qui l'étaient à la fois de l'un et des autres- en prison, avant que d'en sortir pour se retrouver, plus forts qu'avant, face au patronat et, dans les parlements. Ce n'était certes pas le but de la Grève Générale que d'accoucher de la Paix du Travail, puis de la participation de socialistes au gouvernement fédéral (et aux gouvernements cantonaux), et son ambition était à la fois plus immédiate (sortir la classe ouvrière suisse de la misère dans laquelle la Grande Guerre l'avait plongée, lors même que la Suisse n'y prenait pas part) et plus haute (changer la Suisse), mais telles furent deux de ses conséquences, quoique nous puissions aujourd'hui encore en mesurer les effets politiquement émollients sur le PS et les syndicats.

En 2018, on commémorera donc le centenaire de la seule et unique grève générale que la Suisse ait connue. Au sein du Parti socialiste suisse et de la Jeunesse socialiste, on envisage cette commémoration sous la forme d'un « Comité d'Oten 2018 » et la rédaction d'un nouveau cahier de revendications en neuf points. Reste à savoir ce qui, en 2018, devrait figurer dans ce nouveau cahier de revendications, et même ce que nous aurions encore à reprendre de celui de 1918, dont la plupart des points ont été concrétisés, les uns après les autres, lentement, précautionneusement, dans les décennies qui suivirent : élection du Conseil national à la proportionnelle, droit de vote et d’éligibilité des femmes, semaine de travail de 48 heures, assurance vieillesse et invalidité...

Quel cahier de revendications pour aujourd'hui  revendiquer l'héritage de 1918  ? s'agissant des institutions et des droits politiques : le droit de révocation des autorités élues, le droit de vote et d’éligibilité des étrangers, l'abolition de l'armée ? s'agissant des droits sociaux : le salaire minimum, le revenu minimum, l'intégration du 2e Pilier dans l'AVS, la semaine de travail de 32 heures ? enfin, s'agissant de l'infrastructure économique : la nationalisation des banques et la municipalisation du sol ? Après tout, aucune de ces revendications ne serait plus utopique en 2013 que celle, en 1918 des droits politiques des femmes ou de l'instauration de l'AVS... Trois initiatives ont déjà été lancées, qui portent ces revendications (et deux ont abouti) : sur le salaire minimum, sur le revenu minimum et sur les inégalités salariales, une quatrième est à l'étude (sur la fusion du 2e Pilier et de l'AVS), d'autres suivront... Et il faudra que ces propositions soient accompagnées de mouvements hors des institutions, afin de célébrer les 125 ans du PS et le centenaire de la Grève Générale, non par nostalgie mais par pédagogie : donner un nouveau souffle à un vieux slogan : ce n'étaient que des débuts, continuons les combats...

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