Charte laïque et code de conduite interreligieux : Un inquiétant besoin...

Le ministre français de l'éducation nationale, Vincent Peillon, a lancé lundi sa « Charte de la laïcité », qui devra être affichée dans tous les établissements scolaires publics du pays. Mais seulement dans les établissements publics... Au même moment, à Genève, un député PDC propose un code de conduite des communautés religieuses. Ce qui suggère donc qu'elle en ont besoin, comme la charte française signale qu'il est besoin en France de réaffirmer la laïcité, et de préciser ce qu'elle signifie. Or c'est ce besoin même qui est inquiétant, comme si en démocratie, et au XXIe siècle (chrétien) la laïcité et le respèect du pluralisme devaient encore être constamment imposés...

Toutes les religions et toutes les irréligions...

La toute nouvelle charte française de la laïcité, après avoir rappelé (ce qui ne coûte rien, puisque c'est dans la constitution de la République -ce qui coûte, c'est de le traduire en actes et en politiques)  que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », assurant « l'égalité devant la loi », respectant « toutes les croyances » et organisant « la séparation des religions et de l'Etat », proclame ensuite un principe... cardinal   : « chacun est libre de croire et de ne pas croire ». On aurait souhaité qu'il soit ajouté, s'agissant d'un texte devant être affiché dans les écoles, que chacun est libre de croire autrement que ses parents, et donc de changer de religion, de n'en embrasser aucune et d'abandonner celle de sa famille -bref, d'affirmer le droit fondamental à l'apostasie, mais on devra se contenter de considérer que ce droit est contenu dans la liberté de conscience.
Pour le reste, la charte précise qu'« aucun élève ne peut invoquer une conviction religieuse pour contester à un enseignant le droit de traiter une question au programme » (on doit pouvoir faire lire Voltaire à des islamistes, le Coran à des islamophobes, Augustin à des athées et Sade à des écônards), que « nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles applicables dans l'Ecole de la République », qui « protège (les élèves) de tout prosélytisme et de toute pression qui les empêcheraient de faire leurs propres choix » (le prosélytisme marchand est-il aussi visé ?). Elle proclame enfin que la laïcité « garantit l'égalité entre les filles et les garçons » et assure à tous les élèves, à qui il est interdit de porter signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse,  « l'accès à une culture commune et partagée» -et qu'il incombe à tous les personnels de l'école, à qui est imposé un « devoir de stricte neutralité », de « transmettre aux élèves le sens et la valeur de la laïcité ».

Tout cela est bel et bon, mais d'une portée limitée.  L'école publique, et l'enseignement qui y est dispensé, est certes posée comme un espace de laïcité -et donc de liberté, d'égalité et de fraternité, conciliées par la laïcité et assurées par la République dans tous les établissements scolaires publics. Mais, précisément, cette laïcité ainsi proclamée par la charte ne s'applique qu'à l'école, et seulement à l'école publique. C'est évidemment essentiel, mais c'est évidemment insuffisant. D'abord parce qu'en France, les écoles privées, y compris les centaines d'écoles religieuses, sont, directement ou indirectement, subventionnées par des fonds publics. Et que si la République se proclame laïque (comme d'ailleurs, depuis l'adoption de sa nouvelle constitution, la République genevoise), il ne semble pas que ses ressources soient obligées de l'être, elles aussi, ce qui serait pourtanmt cohérent. En outre, ce n'est pas l'école qui est obligatoire, c'est l'instruction -et les parents, intégristes de quelque religion que ce soit, ont la possibilité, certes sous contrôle, d'asséner eux-mêmes à leurs enfants, soustraits à l'impiété de l'école mécréante, l'éducation qui leur semble leur convenir -les examens finaux restant, eux, encore, de l'exclusivité publique.  Enfin, l'école n'est pas le seul espace, la seule institution, le seul service où une « charte de la laïcité » devrait s'appliquer: une telle charte devrait couvrir la totalité des services publics, des espaces politiques, des lieux où les principes qu'elle proclame, la liberté et l'égalité, doivent être respectés -et où la tâche de l'Etat est de les faire respecter.

Et en Suisse, où en est-on ? Pas beaucoup plus loin qu'en 1848: la Confédération n'est toujours pas un Etat laïque, et sa Constitution commence toujours par les mêmes mots que ceux des Etats islamistes : « Au nom de Dieu » (« tout puissant» ici, « clément et miséricordieux » là bas...). Genève semble faire (avec Neuchâtel) exception laïque dans le paysage suisse, mais ici aussi, comme en France, le combat pour la laïcité s'est arrêté à mi-chemin de sa propre cohérence : ni la constitution issue de la révolution radicale, ni la loi de séparation de 1907, qui ne séparait que les ressources financières de l'Etat et celles des trois églises reconmnues (et toutes chrétiennes), n'ont réellement fondé la laïcité comme principe. Quant à la constitution de 2012, si elle proclame la laïcité comme principe, elle fait suivre cette proclamation d'une disposition invitant l'Etat à entretenir des relations avec les communautés religieuses, comme si de telles relations méritaient d'être constitutionnalisées et ainsi d'être privilégiées aux relations que l'Etat peut ou doit avoir avec n'importe quelle composante de la société d'où il émane...

Il y a dans Boccace une parabole des trois anneaux indiscernables symbolisant les trois religions du Livre, le judaïsme, le christianisme, l'islam : pour les croyants, un seul est vrai, pour les sceptiques, il est impossible de savoir lequel, et pour les athées, il s'agit de trois impostures... Et pour les laïcistes de trois faits de culture, à ne traiter que comme tels. Sans les privilégier à d'autres, ni oublier que chacun d'entre eux est, fondamentalement, sitôt qu'on le gratte un peu, négateur du pluralisme -et donc de la liberté de conscience, y compris de la liberté religieuse. Une liberté qui ne trouve de garantie que dans la laïcité... et que dans l'égalité qu'elle implique, qu'elle concrétise, entre toutes les religions et toutes les irréligions, toutes les croyances et toutes les incroyances.

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