« Partenariat social » et droits syndicaux en Suisse : La liberté ne s'use que...

Lors d’une conférence presse en prélude à la 102e Conférence de l’Organisation internationale du Travail (OIT), les syndicats suisses ont présenté deux exemples d’"étranglement d’une grève légitime" par les employeurs :  les cas de SPAR et de La Providence, qui soulignent pour les syndicats la nécessité d'une protection des droits syndicaux, et en particulier d'une protection contre  les licenciements de militants syndicaux, pour crime, précisément, d'être militants syndicaux. Et, pire, d'avoir parfois fait grève (la grève étant pourtant un droit reconnu, même avec des pincettes, par la constitution fédérale...). La Suisse reconnaît les libertés syndicales, oui. Mais elle ne les reconnaît que comme on reconnaît quelqu'un ou quelque chose dont on a vaguement entendu parler.

Des princes qui nous gouvernent et des patrons qui gouvernent ces princes...

Chez SPAR à Dättwil, s’est déroulée récemment la plus longue grève que le commerce de détail ait connue en Suisse. A l'origine de cette grève : des salaires de « travailleurs pauvres » (3600 francs par mois), un personnel insuffisant à assumer les tâches qui lui sont demandées, et donc une pression constante sur les employés, des heures supplémentaires excessives, des arrêts maladie... Après sept jours de grève, la direction s'était déclarée favorable à des négociations avec les employés et les syndicats, qui ne cessaient de les réclamer, mais  elle les a rapidement rompues, sans justifications, a refusé de prendre en compte la moindre proposition des employés ou de leur syndicat (unia) et, au onzième jour de grève, a licencié onze employé(e)s avec effet immédiat.
Et SPAR Dättwil n’est pas un cas isolé. A l’hôpital de La Providence, à Neuchâtel, 22 grévistes ont été licenciés. Le recours à la grève répondait à la dénonciation de la convention collective de travail et et à la dégradation de leurs conditions de travail.  Ici aussi, la direction s'est contentée d'une réponse du genre «obéis ou prend la porte», en  foulant aux pieds les droits syndicaux garantis par l’OIT et la Constitution fédérale. Ici aussi, le droit de grève est vidé de son sens et le partenariat social remplacé par l'ukaze. Le syndicat SSP avait demandé une suspension juridique des licenciements, mais  la législation suisse permet à l'employeur de licencier qui il veut, quand bon lui semble et sans avoir à donner de motifs. Le SSP a donc porté plainte contre la Suisse devant l’OIT, puisque la Suisse, en admettant ce type de licenciements, viole les conventions de l'OIT, et ne manifeste guère d'intentions de mettre son droit en cohérence avec ces conventions. L’Union Syndicale Suisse avait déjà porté plainte contre la Suisse devant l’OIT, il y a une décennie, pour violation des conventions 87 et 98 de l’OIT, que la Suisse avait ratifiées. Au cœur de cette plainte se trouvait déjà la très faible protection contre le licenciement des salarié(e)s actifs syndicalement. L’USS avait suspendu sa plainte après que le Conseil fédéral ait annoncé une révision du Code des Obligations, qui aurait dû s’attaquer à ce problème, mais, sous la pression du patronat, le Conseil fédéral a gelé cette révision. En conséquence de quoi l’USS a réactivé sa plainte auprès de l’OIT.

Les licenciements antisyndicaux sont en absolue contradiction avec le «  partenariat social » que la Suisse officielle, y compris la Suisse patronale, célèbre rituellement comme l'un des piliers de son fonctionnement, et comme la légitimation de la «  paix du travail ». Aucune négociation réelle ne peut se tenir si l'un des « partenaires » de la négociation peut se permettre de licencier l'autre, c'est-à-dire de l'exclure de la négociation. Or il n'y a actuellement en Suisse pratiquement aucune limite au droit absolu de l'employeur de licencier, pour autant qu'il respecte les formes.
L'Union Syndicale Suisse proclame que « les entreprises ne doivent plus être ces zones dans lesquelles on laisse au vestiaire ses droits démocratiques en même temps que son pardessus ». Mais depuis combien de temps la fait-on nôtre, cette revendication d'un minimum de démocratie dans les entreprises, et d'un minimum de respect de droits -les droits syndicaux- que les «  princes qui nous gouvernent » et les patrons qui gouvernent ces princes ne font mine de considérer comme des droits fondamentaux qu'avec l'intention d'en empêcher l'exercice ?

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