A propos de l'extrême-droite : Erwache Genf !

Inculture, bêtise, choix délibéré ? On veut bien, parce que plus on entend le MCG, plus elles paraissent crédibles, croire en l'une ou l'autre des deux premières hypothèses, mais toujours est-il que le slogan de campagne du MCG pour le deuxième tour de l'élection du gouvernement genevois est la traduction genevoise du titre de l'hymne du parti nazi : « Genève, réveille-toi », pour «Erwache Deutschland ! ». On s'attend donc à ce que d'entre les trois transfuges des partis de droite que le MCG présente au Conseil d'Etat, le plus présentable (passé des libéraux au PDC, puis du PDC au MCG) se livre à quelque exercice d'« excuses » du genre de celles présentées aux frontaliers que son parti désignait comme une maladie à éradiquer, excuses d'ailleurs réfutées par son colistier et par son président (belle répartition des rôles entre le chihuahua et le bouledogue). Mais on s'étonne tout de même qu'il y ait encore, même à gauche, quelqu'un pour ne pas voir le MCG tel qu'il est, comme en France le Front National, dont la cheffe menace désormais de procès quiconque la désignera ou désignera son parti tel qu'il est :  un parti d'extrême-droite.

« Pour le corps, la violence, et pour l'âme, le mensonge »

A  Brignoles, avant-hier, un candidat du Front National a été largement élu face à une candidate de la droite démocratique, soutenue, au nom d'une conception très, très élargie du « Front Républicain », par la gauche.  Le « Front Républicain», c'était, sous la IIIe, la IVe et c'est sous Ve République, la pratique consistant, pour la gauche au sens le plus large possible (des radicaux aux communistes) à se désister en faveur de son candidat le mieux placé face à la droite (et à plus forte raison face à l'extrême-droite). Mais c'était un accord à gauche, pas un accord avec la droite. C'est à Genève le soutien des trois composantes de l'Alternative aux candidat-e-s de deux d'entre elles.
Il y quelques enseignements à tirer de la petite élection partielle au Conseil Général du Var, avant-hier. Ce n'est pas grand chose, une élection partielle au Conseil Général. Et Brignoles, ce n'est pas une métropole. Mais la victoire, dans cette petite élection d'un canton du Var, du Front National sur la droite démocratique soutenue par la gauche, a sens politique. A Brignoles avant-hier comme à Genève dans un mois, si la gauche ne s'unit pas, l'extrême-droite passe. Et si la gauche ne s'unit que pour empêcher l'extrême-droite de passer, l'extrême-droite passe quand même. Et avec plus de facilité encore si la gauche s'unit à la droite démocratique, dans un «front» soi-disant « républicain » sans réciprocité, puisque la droite passe son temps à clamer qu'elle n'en veut pas. Résultat: une partie de la droite vote à l'extrême-droite par refus d'être soutenue par la gauche, et une partie de la gauche ne vote pas par refus de soutenir la droite traditionnelle (l'abstention a été massive, à Brignoles).
La configuration de l'élection varoise n'est pas celle de l'élection genevoise, où les trois alliances constitutives du paysage politique local sont toutes concurrentes les unes des autres, et où par conséquent les électrices et les électeurs de gauche ne sont pas appelés à voter pour leurs adversaires contre leurs ennemis, mais pour leurs propres candidats. Mais il se trouve tout de même un point commun, entre ces deux élections, et ce point commun, c'est une extrême-droite forte, qui, même si elle a encore des pudeurs pré-électorales, se cache de moins en moins d'être ce qu'elle est.

C'est quoi, l'extrême-droite ? Ce n'est pas une idéologie déterminée (parce que cela peut s'emparer de plusieurs), c'est une situation dans le champ politique. Et ce sont des constantes (dont on peut retrouver certaines dans des mouvements réputés « de gauche », ou des régimes politiques s'en revendiquant -d'ailleurs, le passage de la gauche, même radicale, même extrême, à l'extrême-droite n'est pas si rare que la gauche en question fait mine de le croire : voyez Déat, voyez Doriot....
L'extrême-droite, ce n'est pas forcément le fascisme, ou le nazisme, ou le salazarisme, ou le franquisme, ou l'intégrisme religieux, mais c'est toujours le culte du chef, l'obsession de l'ordre, l'idéalisation du passé (d'un passé d'ailleurs parfaitement mythique), la désignation d'un bouc émissaire, forcément étranger (et quand il est malgré tout indigène, on le désignera tout de même comme étranger aux « valeurs nationales » ou à « notre culture »-ainsi des juifs pour les antisémites et des musulmans pour les islamophobes), et, pour recette rhétorique, le mensonge (plus il est gros, mieux il fonctionnera, à condition de le répéter). Pour user d'une citation de Bakounine (qui désignait ainsi non l'extrême-droite, mais les conceptions d'un révolutionnaire qui fut de ses amis, Netchaïev) : « pour le corps, la violence, et pour l'âme, le mensonge ». En période de crise, cela fonctionne redoutablement bien -contrairement à ce qu'une illusion cultivée à gauche suggère, l'extrême-droite, quand elle réussit, est « populaire », en ce qu'elle s'appuie sur une partie du « petit peuple », des classes moyennes « prolétarisées » aux largués du système.

De toute façon, ceux à qui s'adressent les messages de l'extrême-droite n'attendent pas la vérité mais une consolation. Et des coupables. Des coupables personnifiés, pas un système, des lois sociales ou économiques, des institutions. Trop compliqués à dénoncer, à expliquer, trop dangereux à combattre. Le juif, le rom, le frontalier, le réfugié, conviennent mieux. Qu'ils ne soient responsables de rien, qu'ils aient les mêmes adversaires que ceux à qui on les livre en pâture, n'a aucune importance. On ne cherche pas des responsables, mais des souffre-douleurs. Et on ne prend jamais plus fort que soi comme souffre-douleur. Devant plus fort que soi, on s'écrase. Sur aussi faible, ou plus faible, on cogne.
Le MCG prend, délibérément, ces électeurs pour des cons ? Ce n'est pas cela -qui est aussi une constante de l'extrême-droite- qui navre : c'est qu'on ait la déprimante impression que cette évaluation soit juste. Et la confirmation, en tout cas, qu'elle est électoralement efficace.
A Brignoles, en tout cas.  A Genève, on verra dans un mois.

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