Après la victoire des saucisses à Lüscher : On s'est fait shoper...

Le peuple a tranché, comme on dit : on pourra donc s'acheter des saucisses dans les « shops » des autoroutes entre une et cinq heures du matin. Voilà, voilà... Sauf que ce vote idiot ne fait qu'en précéder d'autres que nous devront tâcher de rendre moins idiots. Parce que quoi qu'en disent, faussement modestes, les partisans de la modification de la loi sur le travail acceptée dimanche dernier par 56 % des votants, leur succès d'étape les regonfle pour la suite. Et la suite ce sont plusieurs propositions déjà acceptées par le parlement : ouverture des commerces de détail dans tout le pays de 6 heures du matin à 8 heures du soir, ouvertures dominicales partout, et travail de nuit, le dimanche et les jours fériés pour les vendeuses et les vendeurs. Un vrai projet de société tel que les aiment ceux pour qui acheter n'importe quoi, n'importe où, à n'importe quelle heure est un droit fondamental face auquel les droits des travailleurs et, surtout, des travailleuses ne sont que des accessoires gênants.

« C'est le marché qui décide ». Ah bon, c'est pas le peuple ?

Cela faisait huit ans que les Suisses n'avaient pas accepté une proposition de « libéralisation » des horaires ou de l'offre des commerces, en nocturne, le dimanche ou les jour fériés. Et il y a huit ans, comme dimanche dernier, la proposition qu'ils avaient acceptée (on notera tout de même l'opposition ce dimanche de 46 % des votant-e-s, de la majorité dans le Jura, à Neuchâtel, à Fribourg et dans le Valais, ainsi que, notamment, la majorité des arrondisssements de la Ville de Genève) se présentait comme une très modeste et très localisée exception (dans les gares en 2005, sur les autoroutes en 2013). La modestie affichée de la proposition a sans doute fait basculer le vote : après tout, y'a pas mort de travailleur si quelques shops peuvent vendre de la salade à trois heures du matin, puisque de toute façon ils sont déjà ouverts et que leurs salariés y titubent déjà. Mais les apparences sont trompeuses: d'abord parce qu'on peut parier, grâce à l'imprécision de l'ordonnance de la Loi sur le Travail, sur l'ouverture de nouveaux shop (« c'est le marché qui décide », susurre le Conseiller fédéral Schneider-Ammann... « le marché », pas le peuple...) : rien qu'à Genève, l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail estime qu'une vingtaine de shops nouveaux pourraient s'ouvrir); ensuite, et surtout, parce que  la proposition acceptée il y a trois jours est une sorte d'avant-garde, derrière laquelle s'avancent d'autres propositions, celles-là plus ambitieuses, plus générales, plus cohérentes de l'individualisme consumériste ambiant, et bien plus dangereuses pour les salariés du secteur du commerce de détail (et pour les petits commerces qui ne pourront pas suivre la « course à l'ouverture» engagée par les grands distributeurs).

Le débat sur l'ouverture des commerce dure depuis vingt ans, et il va se poursuivre, à tous les niveaux, y compris au niveau local. Ainsi à Neuchâtel, où un accord avait été signé entre le syndicat Unia, les patrons et le canton pour élargir les horaires d'ouverture des magasins en échange de la signature d'une convention collective, cet accord, traduit en un projet de loi, a été contesté par un référendum lancé par des vendeuses et des vendeurs, soutenus par des militants syndicaux du SSP -et par les SSP vaudois et genevois, mais pas le SSP neuchâtelois. L'accord prévoit la fermeture des commerces à 19 heures la semaine au lieu de 18h30, et 18 heures le samedi au lieu de 17 heures, avec une convention collective garantissant un salaire minimum de 3800 francs (soit moins que ce que le syndicat revendique comme salaire minimum légal) , un samedi de congé par mois et 42 heures de travail par semaine. Les référendaires accusaient le syndicat Unia d'avoir négocié l'accord sans consultation de la base, et avoir appris la signature de la convention collective par la radio,  Unia répondit que tout au long des quatre ans de négociation, les vendeurs et vendeuses ont été consultés mais que les référendaires n'ont pas pris part à cette consultation. Cet épisode local résume la situation nationale : des promesses pour faire semblant d'écouter les opposants, des discours lénifiants pour apaiser les électeurs -et au bout du compte, le souk 24 heures sur 24... Or si le peuple a accepté ce qu'on faisait mine de lui proposer (l'élargissement de l'offre des shops existants), il n'a pas accepté ce qu'on entend ensuite lui faire avaler. Et là, le repas est bien plus lourd que les saucisses à Lüscher : Une motion du démo-chrétien tessinois Lombardi a été acceptée, qui demande une harmonisation dans tout le pays des horaires d'ouvertures des magasins, de six heures du matin à huit heures du soir. Si une loi la reprend, il faudra lancer un référendum. Une autre motion du PLR, tessinois lui aussi, Fabio Abate (est-ce que la droite tessinoise en pointe sur la "libéralisation" des heures d'ouverture des commerces comme elle l'a été sur l'interdiction de la burqa va accepter que des clientes en burqa se pointent dans les magasins aux horaires élargis ?)  a été acceptée, qui demande que les commerces puissent ouvrir le dimanche et les jours fériés s'ils répondent à un besoin du « tourisme d'achat ». Si une loi la reprend, il faudra aussi lancer un référendum.

Bref, le syndicaliste et le militant vont devoir bosser la nuit, les dimanches et les jours fériés pour éviter que les travailleuses et les travailleurs y soient contraints. Si c'est pas du désintéressement, ça...

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