Elections genevoises, deuxième épisode

Conseil d'Etat : y aller ou pas ?

On reprend la conversation entamée dimanche soir : Bon, et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ? Ce deuxième tour de l'élection du gouvernement genevois, on y participe comment (si on y participe), on se pose quelles conditions à une éventuelle participation de la gauche dite « de gouvernement » à un gouvernement qui ne disposera d'aucune majorité parlementaire, sauf à ce qu'il soit le gouvernement le plus à droite de l'histoire genevoise depuis 1936 (et encore : en 1936, l'extrême-droite n'y participait pas...) ?. Pourquoi aller au Conseil d'Etat ? Pour empêcher ce Conseil d'Etat d'être aux mains de la droite et de l'extrême-droite ? Cela peut se concevoir -mais cela suppose qu'on n'y soit pas pour y jouer les utilités ou les alibis. Un-e seul-e conseiller-e d'Etat issu de la gauche dans un gouvernement réparti, pour le reste, entre la droite, la droite de la droite et l'extrême-droite, cela s'appelle, dans le meilleur des cas, un-e otage, et au sein du PS des voix se font entendre pour refuser cette hypothèse calamiteuse. Encore faut-il faire de ce refus plus qu'une pure et simple désertion d'un combat qui ne se mène désormais plus seulement contre la droite démocratique, mais aussi contre l'extrême-droite.


Trois, et de gauche, sinon rien !

Le président du MCG plastronnait, dimanche soir : « nous allons pouvoir jouer au maximum le rôle d'arbitres. Nous serons incontournables ». Or cette prétention peut être réduite à ce que pèse réellement le MCG (moins d'un électeur sur cinq dans une élection où la majorité des détenteurs du droit d'élire se sont abstenus, dans une République où la majorité de la population est privée des droits politiques cantonaux...) si les socialistes et les Verts se posent à eux-mêmes des conditions préalables à leur éventuelle présence, minoritaire, au gouvernement cantonal. Ces conditions sont de deux sortes, quantitative et qualitative.
Quantitative : il ne saurait être question d'accepter l'élection d'un-e seul-e, ni même de deux, candidat-e-s de gauche. La question posée à la candidate et aux candidats de gauche est simple :  Accepterez-vous, le cas (malheureux) échéant, de jouer les utilités de gauche dans un gouvernement de coalition entre la droite et l'extrême-droite ? Si la réponse est oui, mieux vaut renoncer à vous présenter à l'élection, et plutôt laisser  la droite et l'extrême-droite se démerder ensemble, l'une avec l'autre et les deux avec le parlement et le peuple. Autrement dit, et c'est la première condition : le, la ou les élu-e-s de gauche dans un mois devraient s'engager, auprès de leurs partis, de leurs électeurs, de la population, à renoncer à leur élection s'ils ne sont pas trois à être élus.
Et puis, il y a la condition qualitative : la capacité d'être au gouvernement sans s'y réduire. La capacité, donc, de ne tenir la « collégialité » ni pour un totem, ni pour un  tabou. La capacité de défendre publiquement des positions qui ne sont pas celles du gouvernement auquel on appartient. Car contrairement aux gouvernements nationaux, le gouvernement cantonal est élu par le peuple : il n'est pas formé par un chef d'Etat, ou élu par un parlement : il est choisi par les citoyens. Et les femmes et les hommes de gauche qui y ont été élus ne l'ont pas été pour défendre les choix politiques de leurs adversaires, mais les choix de celles et ceux qui les ont élus. Une socialiste, un socialiste, un Vert ne doivent pas cesser d'être socialiste ou vert en étant membre du Conseil d'Etat...
Quant à la « gauche de la gauche », il s'agit d'abord pour elle d'être d'opposition sans pour autant confondre ses alliés avec ses adversaires, que ce n'est pas parce que l'on soutient des candidats socialistes et verts en déposant une liste sur laquelle on ne présente que ces candidats que l'on se résigne à n'en être qu'un appendice plus « radical ». Une telle liste désigne des adversaires communs, pas une communauté de stratégie. Il s'agit donc bien, pour la « gauche de la gauche », de pouvoir tenir un discours critique, de défendre des propositions alternatives, de mener des actions de contestation radicale, sans construire soi-même les murs de son propre ghetto politique.

Nos ambitions « gouvernementales » sont modestes : nous ne sommes pas en passe de former le gouvernement de nos rêves (à supposer que l'on puisse rêver d'un gouvernement sans relever de la psychiatrie clinique), en hésitant entre Rosa Luxemburg, Louise Michel, Jules Vallès ou Louis-Antoine Saint-Just : nous somme en train de nous demander si, dans les conditions et les rapports de force politiques qui prévalent à Genève en cet automne 2013, il est plus efficace d'être «dedans» ou « dehors » -sachant qu'être hors du gouvernement, ce n'est pas être hors du champ politique, le MCG venant précisément de prouver qu'on peut prospérer dans l'opposition, et étant tout à fait capable, comme la Lega tessinoise, d'être à la fois représenté au Conseil d'Etat et de pourrir le débat politique : un Poggia vaut un Borradori...

Il y a une vie, une action, une force politique hors du gouvernement : elle est au parlement, elle est dans les media, elle est dans les communes, elle est dans la rue. Souvenez-vous du « gouvernement monocolore » genevois des années nonante : il n'était formé que de représentants de l'Entente. Pendant quatre ans, toute la gauche (l'Alliance de Gauche, les socialistes, les Verts) était dans l'opposition. En usant de toutes les armes de la démocratie et de tous les lieux de la politique, la gauche s'est refait une santé dans cette opposition, a combattu avec succès les projets de la droite, a remportét tous les votes référendaires, et après quatre ans, a remporté les élections, et plus que regagné les sièges perdus à l'exécutif.
Aujourd'hui à Genève, à nouveau,  mieux vaut être franchement  dans l'opposition que participer à un exécutif  qui, s'il ressemble à la configuration parlementaire, impulsera une politique inacceptable, ou, s'il n'y ressemble pas, ne pourra que « gérer les blocages » (fût-ce en les déplorant). En nous posant à nous mêmes la condition quantitative (trois, sinon rien) et la condition qualitative (de gauche, sinon rien), nous assumons à la fois notre rôle -celui de proposer une autre politique que celle que mène la droite ou celle, pire encore, que prône l'extrême-droite- et notre responsabilité politique -celle de tenter d'user de toutes les armes, même légales, et de tous les lieux, même institutionnels, où peuvent à la fois se mener une résistance et se construire une alternative.
De gauche, l'alternative.

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