« Eradiquer les frontaliers » ? une seule solution : Supprimer la frontière !

Il y a au moins un reproche qu'on ne pourra pas faire au MCG -celui de dissimuler à la fois sa propre connerie et sa propension à exploiter celle qu'il attribue à ses  électeurs : il n'hésite ni à exhiber l'une, ni à postuler l'autre, et dans un «pavé» publicitaire paru (en tout cas) dans la « Tribune de Genève», le MCG se proclame « le seul parti qui se bat vraiment contre les frontaliers ». Pas contre la sous-enchère salariale, le dumping social ou la concurrence à l'emploi, tous phénomènes dont on sait que les frontaliers ne sont nullement responsables (au contraire de certains employeurs membres ou souteneurs du MCG) mais contre les frontaliers. En tant qu'individus, en tant que groupe social. Le MCG veut donc (et l'écrit dans son torchon) «éradiquer les frontaliers» comme on éradique une maladie (une « épidémie loin d'être éradiquée »). Ou comme d'autres, aux ambitions plus vastes (mais il faut savoir commencer petit) voulurent éradiquer la «juiverie» ou les koulaks. « Eradiquer les frontaliers » ? Soit. Mais il n'est pour cela qu'un moyen : supprimer la frontière qui les définit et les produit...

Le MCG aboie, la Genève réelle passe

La face dite « présentable » du MCG, Mauro Poggia, s'adressant au Temps sans avoir encore lu le canard de son parti (disons plutôt : le dernier en date des partis choisis pour y construire une carrière politique...) qualifiant les frontaliers d'«épidémie loin d'être éradiquée»,  estimait que «parler d'éradication est particulièrement grave, fait écho aux heures les plus sombres de l'Europe (...) et aurait un caractère pénalement répréhensible », mais assurait que «jamais vous ne trouverez dans les textes du MCG ou dans les propos de ses dirigeants des termes comparant les frontaliers à une maladie ». Mais patatras ! voilà que le « tous ménages » électoral du MCG en fait un titre de page, de ces termes et de cet écho... Aux dernières nouvelles, Poggia est toujours candidat du MCG...
Il se trouve que ce langage « éradicateur » n'est pas seulement injurieux et « pénalement répréhensible », mais qu'il relève en outre d'une véritable pathologie : celle du déni de réalité. Du déni de la réalité genevoise par des gens qui revendiquent en être gérants. Certes, dans un cahier spécial de la Julie, l'année dernière, on lisait que selon un sondage, 76 % des Genevois-es étaient favorables à la «préférence cantonale à l'embauche de Genevois sur territoire genevois », mais en même temps, 77 étaient aussi % favorables « au développement et à la croissance de la région métropolitaine genevoise » et 62 % à une «nouvelle gouvernance régionale» genevoise. On ne sait si la lecture de la « Julie » permet d'être mieux informé, mais on doute qu'elle permette d'être moins schizophrène. Parce qu'il est évident que plus se développera, croîtra et se renforcera politiquement la dimension régionale de Genève, moins la préférence cantonale aura de sens, puisque moins la frontière elle-même en aura (il n'y a pas de frontaliers s'il n'y a pas de frontières...). 

Et puis, à quoi rime déjà l'opposition entre «frontaliers» et « Genevois » ? A rien, puisqu'un tiers des frontaliers sont Genevois... Quant à l'opposition entre «frontaliers» et « résidents », dans la pratique, elle ne vaut guère mieux : entre un Suisse qui débarque à Genève de l'autre bout de la Suisse (ou de l'Europe, ou du monde) en parlant trois mots de français et un frontalier né, grandi, instruit dans la « Grande Genève » et habitant à Annemasse (même au Perrier...) depuis vingt ans, lequel est le plus « genevois » ?
Il est révolu, définitivement, irrévocablement, le temps où le territoire de la Genève politique  coïncidait avec celui de la Genève réelle : un temps où l'on vivait, travaillait, consommait, se délassait, se cultivait et était politiquement actif dans le même espace. Genève-canton compte aujourd'hui bien plus d'emplois que de résidents actifs, et emploie donc bien plus de personnes qu'il y en a de disponible à l'emploi sur son territoir, et chaque année plus d'un-e Genevois-e sur dix déménage en changeant de commune, de canton ou de pays, tout en restant vivre dans l'agglomération urbaine. Cela, c'est la Genève réelle... Celle dont le MCG se contrefout, puisque la majorité de la population de cette Genève réelle (près d'un million d'habitants, dont la moitié réside hors du canton) n'a pas le droit de vote à Genève, quand le seul objectif d'un parti comme le MCG est d'additionner des votes. Pour n'en faire rien d'autre qu'asseoir un maximum de séants dans les parlements, et cultiver l'espoir d'en poser quelques uns dans des fauteuils exécutifs.

Un mouvement constant de population manifeste l'existence d'un territoire genevois réel bien plus large que le territoire politique genevois. Et donc d'un territoire genevois réel qui échappe aux fantasmes et aux démagogies électorales.  Quelles que soient la composition du parlement et du gouvernement genevois, ce parlement et ce gouvernement ne seront jamais que ceux d'une moitié de Genève :  le territoire de l'Etat n'est pas le territoire des hommes et des femmes, il est le territoire des institutions -or l'on sait que les institutions sont toujours en retard sur la société. Pour ne rien dire du retard accusé par les fétichistes de la frontière sur des institutions elles-mêmes en retard sur la société.

Eppur si muove : Qu'il y ait sept ou vingt èmecégistes au parlement, qu'il y en ait un ou aucun  au gouvernement, qu'il y ait leur équivalent dans les conseils locaux et régionaux français, ne changera rien à l'évidence et au besoin présenté par nos leghistes locaux comme une « épidémie » : Le MCG (ou le Front National) aboie, la Genève réelle passe, et continuera de passer, et en nombre croissant, et dans les deux sens, la frontière de la Genève politique.

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