Lampedusa, 3 octobre 2013 : L'exode, le naufrage, la mort

Jeudi dernier, à quelques centaines de mètres des côtes de l'île de Lampedusa, une barque surchargée de 500 passagers sombre. 155 hommes, femmes, enfants, sont sauvés de la noyade. Tous les autres, enfants, femmes, hommes, ont péri. Sur les quais de Lampedusa se sont alignés les sacs mortuaires, en attente de cercueils. Les pêcheurs qui ont porté secours aux neufragés témoignent : J'ai vu « un océan de tête » , « je pleurais comme un enfant. Avec mes mains, je fermais les yeux des morts », l'un pleurait pour n'avoir réussi à «n'en sauver que 47» . Le gouvernement italien a décrété une journée de deuil national, la mise en berne des drapeaux et une minute de silence. Ainsi se résume le plus tragique des épisodes récents de l'exode à travers la Méditerranée des émigrants africains fuyant des pays où ils ne peuvent plus vivre, pour un continent qui les refuse vivants et les compte morts.

Des cadavres sur des quais, des survivants dans des camps

Dans les huit premiers mois de l'année, 21'000 personnes parties d'Afrique ont débarqué en Italie : près de deux fois plus que pendant toute l'année 2012. En 2011, l'année des « printemps arabes », près de 63'000 personnes avaient suivi le même chemin et étaient arrivées vivantes à son terme provisoire, mais 1500 périssaient noyées en Méditerrannée, devenue, selon le mot du Conseiller au ministère italien des Affaires étrangères, Léonard Touati, un « gigantesque cimetière à ciel ouvert ».

« La solution ne réside pas dans la fermeture de l'Europe », a déclaré le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, pour qui on ne peut réduire l'exode des migrants qu'en amont, par une aide aux pays de départ (mais aussi aux pays de transit) afin que puisse enfin y prévaloir à la fois le respect des libertés fondamentales et des conditions de vie supportables. Cela paraît relever de l'évidence, à moins de croire que les migrants traversant la mer pour échouer en Europe (ou sombrer à ses portes) le font par désir de tourisme, mais à cette évidence, et à celle que nulle « fermeture de l'Europe » ne sera jamais de nature à empêcher les désespérés des géhennes du monde de tenter d'y entrer, les pays du nord de l'Europe ont répondu en choisissant délibérément, par crainte des réactions xénophobes chez elles, de laisser les pays du sud de l'Union, et de la rive nord de la Méditerranée (l'Espagne, l'Italie, la Grèce, Malte) où débarquent les « harragas », se débrouiller seuls. Et cela ne devrait pas changer, malgré tous les beaux discours contristés, après la dernière en date de la longue série des tragédies scandant l'exode des Africains, et malgré les appels à la solidarité, avec les émigrants (le pape a dénoncé «l'indifférence à l'égard de ceux qui fuient l'esclavage et la faim à la recherche de liberté, et trouvent la mort»), mais aussi, avec les pays où ils débarquent : la présidence de l'UE (lithuanienne, en ce moment) a exclu « toute remise en cause de la règle qui prévaut depuis 2003 et qui stipule que les candidats à l'asile dans l'Union Européenne n'ont le droit de déposer de demande d'asile que dans le pays par lequel ils sont entrés dans l'UE ». Que les émigrants africains qui traversent la Méditerranée se le tiennent pour dit : ils n'ont qu'à accoster en Slovaquie. Ou se noyer avant Lampedusa.  Mais leur noyade sera filmée : un nouvel outil de surveillance des migrations par voie maritime devrait entrer en vigueur le 2 décembre : des drones, des satellites et caméras de haute résolution seront mis au service d'« Eurosur ». ça nous fera de belles images d'agonies d'immigrants et d'engloutissements de leurs barcasses, sur les côtes italiennes, espagnoles, maltaises, grecques. Pas chez nous. Ailleurs. Là où les corps des morts seront alignés sur les quais et les survivants stockés dans des camps de transit. Dans des pays de «premier accueil   d'où ils ne pourront pas sortir légalement pour se rendre dans un autre pays -le nôtre, par exemple. Et s'ils arrivent tout de même à en sortir, illégalement, et à entrer chez nous, on se fera un devoir de les mettre en prison (pardon : en rétention...) pour les renvoyer là où ils avaient échoué en premier.

Des cadavres sur des quais, des survivants dans des camps ? après tout, ce sont autant de métèques dont on n'aura pas à « gérer l'accueil ».

Commentaires

Articles les plus consultés