Le voile et les vapeurs

La burqa, son interdiction, son exploitation...

Interdire, parce qu'indignes et méprisantes, les vêtures discriminatoires dans lesquelles des femmes sont empaquetées, ne devrait poser de problème de conscience à personne -sinon à ceux qui somment ces femmes de se muer en fantômes, et à celles qui se rendent complices de cette sommation. Mais voilà : cette interdiction, parfaitement légitime en principe, le devient nettement moins lorsque ceux qui la prônent viennent d'horizons politiques et culturels qui cultivent le même mépris des droits des femmes que celui qu'exhibe le voile intégral... Chez ceux-là, le voile ne provoque des vapeurs que parce qu'il symbolise, pour eux, et à tort, à la fois l'islam et l'immigration.


Passer du terrain des principes au champ politique...

Il y a un jour de la semaine où Le Matin est lisible : le dimanche. Et dans un Matin Dimanche, nous avons lu un assez formidable entretien avec Elisabeth Badinter, autour de la signification du « voile islamique » intégral (de la burqa) et de la nécessité d'en combattre le port dans l'espace public, en tant que pratique discriminatoire (à l'égard des femmes), méprisante (aussi à l'égard des hommes), et incivile, puisque empêchant la réciprocité du regard. Le voile intégral, quelle que soit sa forme, marque la femme (et la femme seule...) et proclame à la fois son infériorité et l'incapacité de l'homme de résister à la tentation (dont la femme est forcément coupable) que représente le visage féminin, ou quelque partie de son corps que ce soit. Il transforme la femme en une sorte de spectre et proclame la pure bestialité de l'homme : le mépris, au moins, n'est pas discriminatoire, puisqu'il porte sur les deux genres. Mais discriminatoire, la vêture l'est : le mâle n'est tenu de dissimuler que ses génitoires.
C'est donc d'abord en tant que vêture discriminatoire, imposée aux femmes et aux femmes seules que le voile intégral doit être prohibé -et, qu'on nous croie ou non, nous en dirions tout autant de la guêpière s'il venait à quelque gourou lubrique que ce soit d'en imposer le port aux femmes, et nous en disons tout autant de la cravate là où on prétend nous l'imposer. Mais qui encourra la sanction d'un irrespect de la loi interdisant la burqa : celle qui la porte ? Elle serait alors deux fois victimes, deux fois punie : une première fois parce qu'elle est femme et qu'on lui a imposé, comme femme, de s'empaqueter, et une deuxième fois, parce qu'elle est empaquetée. La victime punie parce qu'elle est victime, en somme. Il y a des femmes qui choisissent « librement » de porter le voile ? Sans doute -le tribalisme islamisé n'a pas inventé la servitude volontaire, s'il a toujours su s'en servir. Mais de quelle liberté parle-t-on ici ? celle de rejeter la liberté individuelle, de récuser l'égalité, d'empêcher toute communication du regard ? De pouvoir, comme le relève Elisabeth Badinter, « voir sans être vue » ?

Mais lorsqu'on se pose la question de savoir si des initiatives comme celles acceptées au Tessin ou celle, fédérale, en préparation dans les marmites d'une annexe de l'UDC, devraient mériter notre soutien, on quitte le terrain confortable des principes, où l'on n'a de compte à rendre à personne qu'à soi-même et à sa propre cohérence, pour entrer dans celui, plus douteux, de la réalité politique, réglé par des rapports de forces. Les initiants tessinois, comme sans doute leurs émules fédéraux, ont pris garde de ne pas seulement prohiber la burqa mais toute forme de dissimulation du visage dans des manifestations, bâtiments ou espaces publics, y compris les transports. Cette concession, car ç'en est bien une, n'est pas au « politiquement correct », mais à la loi et à la constitution, qui permettent que l'on interdise de se masquer, mais excluent qu'on ne l'interdise qu'aux seules musulmanes -l'initiative « antiminarets » est passée par là : même acceptée par le peuple, elle reste inapplicable car ne visant que les édifices religieux musulmans. Personne, pourtant, n'est dupe : ce sont bien les vêtures abusivement considérées comme «islamiques» qui sont visées. Et encore : les touristes voilées du Golfe ne seront pas soumise à la loi antiburqa, celle du marché et du commerce de luxe lui étant de toute évidence supérieure.

D'où vient alors le problème ? Il vient de là d'où viennent les initiative « antiburqas » : de la droite de la droite. De la récupération par cette parcelle du champ politique de la revendication laïque et égalitaire, voire même féministe, alors même que les forces qui couvrent cette parcelle sont, pour tout le reste, sur tous les enjeux politiques, culturels et sociaux, fondamentalement, et parfois violemment, antilaïques, antigalitaires et antiféministes. Et que ce sont les mêmes qui se parent des vertus de la lutte contre le voile intégral, et proposent de recriminaliser l'avortement, s'opposent au «mariage pour tous», rêvent de voir les femmes retourner au seul travail ménager et s'opposent au travail des bureaux de l'Egalité. Et que ce sont les mêmes qui brandissent l'étendard de la laïcité et exigent le maintien des crucifix dans les écoles. Leur combat contre le voile islamique n'est en fait que la dernière mouture du combat xénophobe -un combat qui en l’occurrence en arrive même à se tromper de cible en assimilant les musulmans à des immigrants, alors qu'un tiers des 350'000 à 400'000 musulmans de Suisse sont de nationalité suisse, que seuls 12 à 15 % des musulmans de Suisse sont réellement pratiquants, que la population musulmane de Suisse est très hétérogène, que plusieurs « communautés » la constituent, d'origines fort diverses, et que la majorité de la part étrangère de cette population vient de Turquie et des Balkans quand la burqa, le voile intégral, le tchador, eux, viennent d'Arabie Saoudite, d'Iran, d'Afghanistan. Même lorsqu'ils sont portés volontairement par des femmes suisses, ils sont le signe d'une étrangeté, et c'est bien en tant que tels, et non parce qu'ils sont discriminatoires, que la droite de la droite les honnit.
Après tout, on ne l'entend pas proposer (ce que nous ne proposons pas non plus) l'interdiction du voile des religieuses chrétiennes...

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