Une majorité de gauche au Grand Conseil genevois ? Un enjeu parmi d'autres

Quelques uns, à la droite de la droite, ont retrouvé trace du spectre qui hantait naguère quelques venelles de la Vieille-Ville : celui d’une victoire de la gauche aux élections cantonales. Et en appellent à la mobilisation pour son exorcisme.  Nous aimerions bien que ce spectre soit plus qu'un ectoplasme de bonne composition, que la droite de la droite ne joue pas à se faire peur (et à faire peur à la droite traditionnelle)... Las ! le Grand Soir n'est pas à l'ordre du jour, ni le petit matin du départ des Boat People colognotes chassés de leurs villas par les agents du fisc ou les pelleteuses du logement social. Dévalorisons-nous l'enjeu des élections cantonales genevoises en en écrivant en ces termes ? nullement. Cet enjeu est considérable, et les ambitions de l'extrême-droite locale (c'est-à-dire du MCG) en attestent, comme le bilan calamiteux de la majorité parlementaire (de droite et d'extrême-droite) sortante, mais cet enjeu ne se suffit pas à lui-même, pas plus que le remporter ne se décrète.

 L'aube électorale ne dissoudra pas seule les monstres

Une majorité parlementaire et gouvernementale de gauche pour le canton ? Elle est possible (même sans majorité dans les urnes,  puisque le système électoral en vigueur, en excluant de la répartition des sièges les listes qui n'ont pas obtenu 7 % des suffrages, permet aux listes qui ont passé ce cap d'obtenir un nombre de sièges excédant leur potentiel électoral). En outre, la Ville de Genève a connu au Conseil Municipal une majorité de gauche pendant des lustres, et il n'y manque présentement à l'Alternative que deux sièges pour rester majoritaire à coup presque sûr, sans avoir à compter sur les absences (physiques ou intellectuelles) sur les « bancs d'en face ».  A l'aune de la situation cantonale, le progrès que représenterait un changement de majorité parlementaire serait certes considérable. Mais nous suffit-il ? A calibrer les programmes politiques aux attentes ou aux peurs de l'électorat que l'on tente de conquérir ou de garder, on risque de se retrouver avec des programmes débiles (au strict sens du terme) et des électorats confortés dans leurs obsessions. La social-xénophobie des uns répond au poujadisme fiscal des autres. Tout se gueule, rien ne bouge. On saluera donc ici, l'inscription dans le programme du parti pour lequel nous allons, et appelons à, voter (au cas où vous n'auriez pas, sagaces lecteurs, compris à quel parti nous faisons allusion, il s'agit du Parti socialiste...) en ajoutant sur son bulletin (liste N° 2...)  les noms de candidates (surtout) et candidats d'« Ensemble à gauche » (surtout) et des Verts, de propositions et de revendications qui rompent avec les plate-formes électorales convenues, comme le droit de vote à 16 ans, la gratuité des transports publics dans la zone urbaine...

Au-delà de cela, que veut-on changer au juste ? Un changement de majorités parlementaire et gouvernementale est certes, sauf à poursuivre le rêve de l'insurrection salvatrice, la condition nécessaire d'un changement de politique, et une majorité populaire la condition nécessaire d’une majorité institutionnelle. Mais une condition nécessaire n'est pas encore une condition suffisante. L'exigence d'une majorité populaire ne se réduit pas à celle d'une majorité électorale. D'abord parce que les institutions politiques de la République donnent encore le dernier mot « au peuple » (du moins à cette part du peuple à qui les droits politiques sont accordés). Si la gauche (à supposer qu'elle veuille réellement être majoritaire, et qu'elle arrive à l'être) met en œuvre un programme de changement, et pas seulement un programme défensif, chaque point de ce programme devra être accepté par le corps électoral. L'élection d’une majorité ne suffit donc pas à l’acceptation de ses projets : nous ne sommes pas dans une démocratie représentative fondée sur l'abandon de la souveraineté populaire en les mains de « représentants du peuple ». Nous avons au moins hérité de Rousseau ceci (en oubliant le reste) : la volonté du peuple ne se représente pas, elle s'exerce. Si la majorité institutionnelle ne repose pas sur une majorité populaire stable et cohérente, ses propositions n’auront de destin que celui du sommeil du juste dans la quiétude du Mémorial. Et finalement, même une majorité populaire stable ne suffit pas à un changement politique : nous avons aussi, et peut-être surtout, besoin d’un mouvement social : rien d'important n'a été gagné, ni changé politiquement, sans procéder avant toute démarche institutionnelle d'une exigence et d'une mobilisation sociales. Aucun droit fondamental n'a jamais été octroyé, tous ont été conquis, toujours dans la rue et hors la loi.

Changer de politique suppose que l'on convainque une majorité sociale qu'un tel changement est nécessaire (on admettra que cette conviction naîtra facilement de l'examen du bilan de la droite), qu'une autre politique est possible (on l’admettra, puisque l'action politique relève de choix arbitraires), et que les forces politiques de gauche qui se sont retrouvées dans l'opposition cantonale pendant quatre ans soient à la fois porteuses de cette « autre politique », capables de la mener, de la mener ensemble (on l’admettra parce qu’on voudra bien l’admettre) en s'appuyant sur un mouvement social la soutenant.. Mais convainc-t-on les autres de ce dont on n'est pas soi-même convaincu ? Il se peut que l'héritage des majorités parlementaire et gouvernementale de droite soit si calamiteux que la gauche s'effarouche du risque d'avoir à en gérer les conséquences : gagner les élections, ce serait  hériter d'un beau merdier financier, social, et même sécuritaire. Mais quelle est l'alternative ?le maintien au pouvoir d'une droite tétanisée par l'extrême droite tout en comptant sur elle et en la caressant dans le sens du poil pour être majoritaire ?
Que la gauche soit capable de relever le défi d'un véritablement changement de politique ne dépend que d'elle. Le MCG et GHI aboient, la caravane peut passer. On ne peut pas seulement compter sur la médiocrité de l'adversaire ou la puanteur de l'ennemi pour vaincre,  l'aube électorale ne dissoudra pas seule les monstres, et on n'a pas à se contenter d'attendre de la gauche qu'elle fasse mieux que la droite (le challenge est modeste) -on attend d'elle qu'elle fasse autre chose. Et il faudra l'y pousser. Et peut-être l'y contraindre.

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