Encore la frontière ? ben oui, la frontière, encore...

Bis repetita...

« La frontière, la région, encore ? Vous nous en avez déjà causé hier, faudrait pas que ça devienne une obsession» nous dira-t-on peut-être. ça lasse ? Qu'importe ! on en remet une couche. Avec l'aide du gouvernement français. Et notre propre contribution municipale.  En octobre, entre 7000 et 10'000 personnes ont manifesté à Annemasse, Pontarlier et Saint-Louis, contre une décision du gouvernement français, tombée sur les résidents français travaillant en Suisse (voui, ceux à qui on est en passe à Genève d'imposer le port d'une étoile tricolore, pour mieux les reconnaître, puisque ces sournois nous ressemblent trop), à qui il serait imposé dès juin 2014 de renoncer à l'assurance-privée qui leur permettait de se soigner en Suisse (aux HUG à Genève, par exemple), pour cotiser à la Sécu. Une décision prise sans consultation d'une assemblée représentative du million d'habitant de la région -et pour cause, une telle assemblée n'existe pas.
Et politiquement, la « Grande Genève » non plus, du coup...


La région : espace technocratique ou espace démocratique ?

Et voilà que nous tombons, dans le programme des «  Noces de Figaro »  au Grand Théâtre, le mois dernier, sur ce rappel utile, d'une histoire et d'une géographie qui font la Genève réelle plus grande que la Genève institutionnelle : au XVIIIe siècle, alors que Genève est encore une République indépendante enserrée dans ses remparts et ses bastions,  « les relations entre Genève et son arrière-pays savoyard sont quotidiennes (...) Par ailleurs, depuis 1750, la croissance démographique de Genève n'a pas seulement produit une augmentation de la population à St-Gervais ou aux Pâquis et dans les faubourgs lointains (Châtelaine, notamment), mais a aussi poussé une partie des artisans à quitter le territoire de la République et à chercher un logement moins cher de l'autre côté de la frontière » . Et puis ceci, encore : « le migrant est désormais un migrant "économique", venu des cantons helvétiques avant tout, attiré par les perspectives d'emploi, et non plus un réfugié »... Ne nous dites pas que cela ne vous rappelle rien de la situation actuelle de notre bonne République et de sa région ? Remplacez « venus des cantons helvétiques« »  par «venus du reste de l'Europe », et on y est... On a certes un peu repoussé les frontières, aboli celle avec la Suisse après avoir tenté d'abolir celle avec la France, mais une constante s'impose : si l'histoire et la géographie font Genève plus grande que Genève, la politique, elle, semble prendre un coupable plaisir à la rétrécir... et le discours politique à la nier. Ou à ne l'évoquer qu'en se gardant bien de proposer qu'elle soit dotée de ce qui lui donnerait une légitimité.

La « Grande Genève » souffre aujourd'hui d'un déficit qui s'ajoute au déficit d'emplois en France et de logements à Genève : un déficit de légitimité démocratique. Elle est un projet de politiciens et de technocrates, pas une identité collective; un projet de « gouvernance », pas un projet démocratique. Or une région ne se construit pas d'en haut : elle se construit d'en bas, de la société et par les sociétaires qui la peuplent. Dans le cas genevois, ce principe est d'autant plus important qu'on a affaire à une superposition de territoires politiques aux législations contradictoires, établies pour des espaces dont aucun ne correspond à celui de la région, et dont les seuls que l'on puisse additionner pour constituer précisément la région sont les communes. On ne pourra pas construire une région genevoise autrement qu'à partir des communes qui la composent, ni donner une légitimité démocratique à cette construction, sans qu'une assemblée, élue ou formée d'élu-e-s des communes représente les femmes et les hommes qui y vivent -et qui sont déjà près d'un million.

A Genève et alentours s'est élaborée une structure régionale dont les instances sont composées de manière fort peu démocratique, et où les communes ne sont considérées, voire représentées, que comme des espaces d'exécution ou de financement, non des partenaires déterminants, représentés démocratiquement. Les instances du « Grand Genève » ne peuvent ainsi plus être modifiées par les communes, même les plus importantes, même par celle qui est le centre de ce « Grand Genève » et lui donne son nom (même si au passage de la commune à la région il a été trouvé -mais par qui ?- judicieux de le masculiniser). Il devrait s'agir  de faire participer les communes, à commencer par la Ville, à la construction d'un espace régional démocratique, à partir du seul échelon politique et institutionnel commun à la Suisse et à la France et, en Suisse, à Genève et à Vaud : la commune, précisément. Un tel espace régional ne peut être démocratique que s'il est doté d'une assemblée élue, fût-ce indirectement (par les conseils municipaux, élus, eux, directement), et ne fût-elle, du moins dans un premier temps, que consultative. Alors, on a proposé au Conseil Municipal (qui en traitera la semaine prochaine) de se prononcer sur la légitimité démocratique d'une construction institutionnelle d'où la démocratie est singulièrement absente, et la technocratie singulièrement hégémonique : la « Grande Genève ».

La région doit-elle être un espace technocratique ou un espace démocratique ? Les « décideurs » politiques genevois (et français et vaudois, pour autant qu'on le sache) semblent avoir fait le choix du premier terme de cette alternative : l'espace technocratique. C'est le pire des choix, et le meilleur moyen de rendre la région politiquement étrangère à celles et ceux qui y habitent et y oeuvrent. C'est la frontière qui produit les frontaliers, et c'est l'incapacité ou le refus de la dépasser, l'impotence volontaire, qui produit des choix aussi absurdes que celui du gouvernement français s'agissant de l’assujettissement des frontaliers à la sécu, ou de 20% des électeurs actifs genevois, s'agissant de l'élection du parlement de la « petite Genève ».
Les conneries des uns produisent les conneries des autres. Encore un effet de la frontière ? peut-être. mais paradoxal, celui-là, puisque la connerie, elle, n'en a pas, de frontières.

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