Initiative 1:12 : le patronat se mobilise : Profil bas, budget haut

Dans trois semaines, on revote. Non, on ne vous parle pas là de l'élection du Conseil d'Etat genevois (ne vous en tenez pas quittes pour autant, on y reviendra...), mais de la votation fédérale sur l'initiative 1:12 pour la réduction des inégalités salariales. Il sera d'ailleurs fort intéressant, pendant la campagne pour le Conseil d'Etat, de prendre connaissance des prises de position de ceux qui, à l'extrême-droite de notre « échiquier politique » local (et national), ont accoutumé de se faire passer pour les défenseurs du « petit peuple »...  Instruits par leur désastre lors du vote de l'initiative Minder, les organisations patronales et les partis de droite (et d'extrême-droite) tentent de la jouer « profil bas » dans la campagne contre l'initiative 1:12,  mais y mettent tout de même huit millions de francs  : c'est ce que la faîtière patronale, « Economiesuisse », avait investi contre l'initiative Minder et c'est dix fois plus que ce les partisans de l'initiative 1:12 peuvent cotiser. L'inégalité des ressources politiques pour maintenir les inégalités salariales, en somme...

Dépenser 10:1 pour combattre 1:12

Le patronat prend donc très au sérieux l'initiative de la Jeunesse Socialiste pour une réduction des inégalités salariales, et le risque qu'elle soit acceptée par le peuple (et les cantons) : outre les organisations faîtières de la droite économique (l'USAM, dont le président, l'UDC Rime, coordonne le comité de campagne contre l'initiative 1:12, l'Union patronale, Economiesuisse, les centrales patronales des assurances et de l'industrie des machines), un « comité des 1000», présenté comme regroupant des patrons de petites et moyennes entreprises, a été créé pour contribuer à la mobilisation en faveur des hauts salaires -et contre l'augmentation des bas salaires. Pour éviter de devoir réduire les inégalités salariales à 1:12, le patronat et la droite vont donc dépenser 10:1. Un investissement qui mesure sa crainte.
Le coordinateur de la campagne de la droite et du patronat contre l'initiative des Jeunes Socialistes, croit avoir trouvé l'argument massue pour combattre l'initiative : elle ferait perdre des sous à l'AVS. En 2011, selon les chiffres de l'AVS, 12'000 personnes gagnaient en Suisse plus de 500'000 francs par an, ce qui représentait un total de 5,3 milliards de francs, soit, pour l'AVS de 8,4 %, une rentrée de 450 millions de francs (sur un total de plus de 28 milliards de francs de rentrées). C'est en se basant sur ces chiffres fournis par l'Office fédéral des assurances sociales que l'UDC Jean-François Rime nous sort sa prédiction calamiteuse. Calamiteuse, et parfaitement mensongère. D'abord, parce qu'elle se fonde sur une hypothèse basée sur des moyennes nationales alors que l'initiative fixe sa « fourchette » par entreprise, en fonction des salaires versés par l'entreprise.  Ensuite, parce que l'initiative propose non des chiffres absolus, mais un écart entre bas et hauts salaires, ce qui peut parfaitement maintenir des hauts salaires supérieurs au demi-million si les bas salaires sont augmentés. Et des salaires de 3300 francs par mois peuvent l'être sans «dommages pour l'économie»... d'ailleurs, une initiative syndicale propose un salaire minimum d'au moins 4000 francs par mois, ce qui hausserait forcément (à près de 600'000 francs) la limite maximale du salaire autorisé par l'initiative. Même le hard discounter Lidi a relevé le salaire mensuel de ses employés de 3800 à 4000 francs par mois. Et c'est pas un tendre, Lidi : c'est plutôt le genre patronat de choc qui espionne ses employés et les pressure... s'il augmente leur salaire minimum, c'est bien qu'il trouve son avantage
Avec l'initiative 1:12, rappelle l'Union Syndicale Suisse (qui la soutient), comme avec l'initiative pour un salaire minimum, « il ne s'agit pas prioritairement de baisser les hauts salaires, mais de monter les plus bas, qui cotiseront ainsi davantage ». La seule acceptation de l'initiative pour le salaire minimum amènerait d'ailleurs, selon les calculs du groupe de réflexion libéral «  Avenir Suisse » (qu'on ne soupçonnera pas d'égalitarisme bolchévik), 120 millions de plus dans les caisses de l'AVS.

Bref, si les dirigeants à hauts salaires veulent maintenir leurs hauts salaires à leur hauteur de hauts salaires, ils le peuvent même avec l'initiative 1:12 : en augmentant les bas salaires... Et ils ont de la marge :  A Genève, selon une étude de l'Observatoire universitaire de l'emploi, commanditée par le syndicat SIT, un-e salari-é-e sur dix, soit plus de 21'000 personnes, gagne moins de 22 francs de l'heure, soit moins de 4000 francs par mois pour un travail à plein temps, dans l'une des sept villes les plus chères du monde. Et dans un pays dont la richesse par habitant est la plus élevée au monde : 466'000 francs par adulte. Dans le seul pays à «  économie avancée » où l'écart entre riches et pauvres ne se réduit pas...
Les inégalités salariales doivent être réduites. Et elles peuvent l'être sans dommage pour personne, sinon pour l'ego de quelques rapaces mesurant leur pouvoir au multiple qu'il reçoivent tous les mois du salaire annuel qu'ils accordent à leurs employés. L'«économie» ne souffrirait pas de cette réduction des inégalités : En 1984, l'écart salarial moyen, entre les plus hauts et les plus bas salaires, était de un à six pour les entreprises cotées en bourse. Il est aujourd'hui de un à nonante-trois. L'économie suisse est-elle quinze fois plus performante qu'alors et ses dirigeants quinze fois plus efficaces ?
Ne serait-ce pas plutôt qu'en trente ans, ils ont perdu tout sens des réalités de l'économie dont ils se veulent les maîtres ?

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