Prisons genevoises : une évasion de plus

E la nave va...

La directrice de l'office cantonal genevois de la détention (la cheffe des prisons, quoi) s'est évadée. Le communiqué de son ministre de tutelle, Pierre Maudet, évoque des « problèmes de santé », assure que cette démission  n'a rien à voir avec l'assassinat d'une jeune sociothérapeute de La Pâquerette, à Champ-Dollon, et regrette le départ de ce « cadre supérieur fiable et engagé ». Engagé dans un sacré merdier, si vous voulez notre avis : le système carcéral genevois. Qui, pour parfaire son état calamiteux, va en plus manquer de gardiens, alors que Champ-Dollon bat tous les records de surpopulation (856 détenus pour 376 places, avant-hier) et qu'une nouvelle prison (Curabilis, pour les frapadingues dangereux) va s'ouvrir. Mais « le cap est fixé, il est tenu, malgré une forte houle » (Pierre Maudet). Le cap, quel cap ? celui de la bonne espérance qu'on n'en parlera plus après les élections ? E la nave va...


Des têtes qui tombent, des bras qui manquent...

Sandra Favre de Oliveira avait été nommée à titre provisoire à la tête de l'Office de la détention par la Conseillère d'Etat Isabel Rochat, après un audit dévastateur sur la gestion de cet office. Elle avait été ensuite confirmée à ce poste par Pierre Maudet, qui l'avait flanquée de deux conseillers. Dans sa lettre de démission, elle évoque la « surexposition médiatique et politique » de son poste et le désir d'en protéger sa famille, assure avoir décidé de partir depuis des mois, mais avoir attendu l'élection du Grand Conseil pour que son départ « ne puisse pas être interprété de manière politique ». Politique, cependant, il l'est -non forcément dans ses causes et ses motivations, mais par le contexte dans lequel il se produit : L'Office cantonal de la détention perd sa cheffe après que la directrice de la prison pour mineurs de La Clairière puis son successeur aient été limogés, que le directeur du centre de détention administrative de Frambois se prenne une enquête administrative, que le directeur de la prison de la Brenaz et l'un de ses adjoints aient été déplacés, que la directrice de la maison d'arrêt de Favra fasse l'objet d'une plainte de gardiens et que le service d'application des peines et mesures (SAPEM) ait été mis en cause dans l'assassinat d'Adeline Morel par un criminel récidiviste pris en charge à Champ-Dollon par La Pâquerette -dont la directrice a été suspendue par les Hôpitaux Universitaires dont elle dépendait. Bref, heureusement qu'il y a quasiment mille personnes détenues dans les divers établissements genevois voués à cette noble tâche, parce que sinon, le secteur carcéral local finirait par être dépeuplé à force de limogeages, de démissions, de déplacements, de suspensions, d'enquêtes administratives et de plaintes. On ne dira jamais assez l'utilité du détenu de base : sans lui, on ne voit pas à quoi serviraient tous les chefs, sous-chefs, chefs adjoints et petits chefs qui peuplent les services dont après tout, lui, le détenu de base, est la seule justification.

Presque dans le même temps où tombaient les têtes de l'archipel pénitentiaire genevois, on apprenait qu'on allait en plus y manquer de bras : Le Conseil d'Etat avait décidé de créer 85 postes de surveillants, pour répondre à la situation de surpopulation de Champ-Dollon et à l'ouverture de l'établissement de soins et détention « Curabilis », pour les détenus les plus dangereux (60 surveillants y seront affectés). Mais seuls 17 surveillants seront assermentés aujourd'hui, qui s'ajouteront aux deux retraités qui ont accepté de rempiler. Les autres personnes engagées ne sont encore que stagiaires, en formation (une formation d'ailleurs revue à la baisse) : 800 candidatures ont pourtant été déposées, mais le genre de tâches qu'on confie au personnel pénitentiaire ne peut l'être à n'importe qui (surtout à « Curabilis », dont le personnel surveillant aura dû recevoir une formation supplémentaire pour la prise en charge des cas psychiatriques). Et le syndicat des gardiens se demande si le gouvernement n'est pas en train de « jouer la montre » en attendant une baisse illusoire (la prison genevoise bat tous les records de surpopulation...) de la « fréquentation » de Champ-Dollon.

L'errance du système carcéral genevois dégrade à la fois les conditions de travail de son personnel et les conditions de détention dans les divers lieux voués à cela, et l'assassinat d'une sociothérapeute par un détenu en autorisation de sortie n'arrange ni la situation du personnel, ni celle des détenus, ni le contexte dans lequel doit se faire la réflexion politique sur le système carcéral. « Il faut dire honnêtement à la population que les risque zéro n'existe pas », avait reconnu Pierre Maudet (dans Le Temps du 18 octobre). Ni le risque qu'un criminel dangereux sorte de prison, ni celui qu'un innocent y rentre. Mais comme le constate aussi le même Pierre Maudet, « le domaine pénitentiaire est perclus d'hypocrisies» -la première étant de faire croire qu'on détient LA solution (la peine de mort, l'emprisonnement à vie, la castration, la sociothérapie...) au problème posé par les criminels pulsionnels, la seconde étant de croire qu'en dégradant les conditions de détention, on contribue en quoi que ce soit à la sécurité, dans et hors de la prison.

Le bâtonnier de l'Ordre des avocats genevois l'avait rappelé dans un discours aujourd'hui inaudible : la pénalisation à outrance des comportements gênants et les arrestations massives n'ont jamais réduit réellement ni la délinquance, ni la récidive. Or des gens qui pourraient sortir de prison y sont maintenus sans raison autre que la pression sociale pour plus d'enfermement, alors que des gens qu'on ferait mieux de garder en prison, parce qu'ils souffrent de troubles psychiatriques dangereux pour les autres, sont libérés.... Si l'on tient à garder la prison dans l'arsenal répressif, qu'au moins on sorte de l'idéologie pour entrer dans l'empirisme, et que l'on fasse l'effort d'en analyser l'efficacité en fonction de critères objectifs, dont celui de son effet sur la récidive, et celui de son coût, financier et social.
« Je suis certain que si l'on mettait des animaux à la place des prisonniers, la population s'offusquerait de la situation » à Champ Dollon, estimait le criminologue André Kuhn, dans la Tribune de Genève du 16 mai. 
Gageons qu'en effet les protestations de la SPA seraient mieux entendues que celles, s'agissant des détenus humains,  de la Ligue des droits de l'Homme, ou même les inquiétudes de la commission parlementaire des Visiteurs de prison...

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