Autour de l'anarcho-syndicalisme...

Ploum, ploum, tralala...

Lundi 25 novembre, le Collège du Travail et la Conférence Universitaire des Associations d'Etudiants organisaient, avec l'Association pour l'étude de l'histoire du mouvement ouvrier, le Centre international de recherche sur l'anarchisme et l'Ecole syndicale d'Unia, une rencontre autour de Lucien Tronchet et de ses combats, syndicaux mais aussi politiques. Et du 14 au 17 novembre, à Saint Imier, se tenaient à l'Espace Noir des « journées de l'anarcho-syndicalisme et du syndicalisme révolutionnaire » (www.espacenoir.ch). Mais d'où, de si loin, nous revient donc l'anarcho-syndicalisme ?


 




Toute la place, tout le soleil, et tout le temps...

Ploum, ploum, tralala, les anars sont toujours là »... Mais d'où, de si loin, nous revient donc l'anarcho-syndicalisme ? Et pourquoi, en ce moment ? Il n'avait certes pas disparu de notre horizon politique, mais il y campait nimbé de nostalgie, plus que d'enseignements politiques. Et le voilà qui revient -moins comme une vieille taupe que comme un vieux chat de gouttière, et moins comme un mode d'organisation syndicale (et donc politique, quelque répugnance qu'il ait à l'égard des partis politiques) que comme le rappel de quelques principes, et comme une critique radicale du syndicalisme tel que nous en avons hérité des années cinquante et soixante du siècle passé. Un syndicalisme, quelque variante que l’on en examine, dont nous n’attendions plus grand chose -sinon l’élévation du niveau de survie, mais souvent au prix de l’abaissement du seuil de tolérance à l’aliénation, et, surtout, du maintien du lien laborieux, liant celui qui vend sa force de travail à celui qui l’achète, liant le travailleur à la marchandise.
Il est vrai que si l’on se contente de demander au capitalisme de l’argent (ou du temps, ce qui pour lui revient au même), c’est qu’on a eu largement le temps d’apprendre qu’il ne fallait rien en attendre d’autre que de l’argent. Le capitalisme peut partager (un peu) ses profits, si ce partage lui rapporte -et il lui rapporte, ainsi que l’illustre la création de l’Etat social  : elle a renforcé le capitalisme ; elle a «produit» des consommateurs capables de consommer beaucoup plus que les hâves prolétaires du XIXème siècle ; elle a aussi «produit des producteurs » infiniment plus efficaces que les manœuvres analphabètes de la révolution industrielle; elle a enfin accordé à tous les sociétaires des sociétés postindustrielles des moyens d’existence, et donc de consommation, garantis, même en cas d’incapacité de travail.
L'anarcho-syndicalisme ne s'en contente pas. Il ne revendiquait pas seulement plus de beurre sur les tartines, ne posait pas seulement la question de l'indépendance des syndicats à l'égard de l'Etat et des partis politiques : il se donnait aussi pour tâche de rompre les liens sociaux produits par le capital, quand le syndicalisme traditionnel n’avait plus guère de projet que celui de les maintenir et, quand il le peut, de les renforcer (à commencer par le salariat, à continuer par l’Etat).

Cette volonté révolutionnaire ne fut pas sans contradictions : l'anar Tronchet adhérera au Parti Socialiste -et pas au PS de Léon Nicole : à celui de Charles Rosselet. Tronchet n'était certes pas social-démocrate, mais il était encore moins communiste, au sens que les staliniens avaient donné à ce qualificatif. Et dans le clivage qui séparait au sein du PS une aile « droite », celle de Charles Rosselet, très minoritaire, reposant sur les appareils syndicaux, et une aile « gauche », celle de Léon Nicole, très majoritaire mais fourvoyée dans un pro-soviétisme aveugle, Tronchet choisira l'aile « droite ». Par antistalinisme. Parce que les staliniens, il les avait vu à l'oeuvre en Espagne, comme fossoyeurs au nom de la République, de la Révolution, et comme liquidateurs de la CNT et du POUM. Ce même anticommunisme, en un temps où il n'y avait guère de communistes que staliniens (hors les trotskystes, mais Tronchet se souvenait aussi de l'écrasement des anarchistes ukrainiens de Makhno et des révoltés de Cronstadt par l'Armée Rouge de Trotsky) conduisit Tronchet à accepter l'argent de l'AFL-CIO américaine et à contribuer à l'organisation du financement des syndicats dits « libres » (trade-unionistes, sociaux-démocrates) par les syndicats américains, fort peu libres, eux, de la CIA et du Département d'Etat... La cohérence antistalinienne mène ici à l'incohérence syndicale -on dira que l'époque ne portait guère aux scrupules, ni d'un côté, ni de l'autre du clivage qui rompait la gauche...

Il n'êmpêche : A un mouvement syndical qui n’est le plus souvent qu’un mouvement de partage respectueux de ce qu’il veut partager et de ceux avec qui il négocie ce partage, le fantôme de l'anarcho-syndicalisme rappelle la vieille volonté de faire émerger un syndicalisme ne revendiquant ni une aumône, ni une place au soleil, ni une augmentation du prix du temps, mais, contre le patronat et contre l'Etat, toute la place, tout le soleil, et tout le temps.

Commentaires

Articles les plus consultés