Petit prêche de l'Avent : Et Dieu, dans tout ça ?


Ainsi, il nous faudrait dire encore quelque chose de ce vieux cerbère de tous les ordres imposés, la religion, puisqu'à défaut d’être déjà mort, Dieu ne serait même pas subclaquant ?  Ce cancer il est vrai n'est pas enkysté : il a ses métastases, et le cadavre des églises traditionnelles ses parasites : elles s’endorment doucement après avoir fait la quête pour survivre, mais  d’autres, souvent pires, naissent de leur soue. Et il faudrait qu'à gauche l'on s'en préoccupe, que l'on « parle de religion », de sa place, de son rôle ?  Eh bien parlons-en... et peu nous importe de savoir de laquelle religion on parle  puisque toutes, au fond, se valent. Et que ce débat est politique, quand monte ce qu'on a désormais accoutumé de qualifier d'«islamophobie», qui prend la place de la bonne vieille judéophobie, et qu'on aurait grand tort  de prendre pour autre chose que de la xénophobie pure et simple -voire du racisme : l'islam n'est pas une race ? Certes non, mais le judaïsme non plus, et cela n'a jamais empêché les judéophobes d'en faire précisément une race et de construire idéologiquement d'abord, politiquement ensuite, l'antisémitisme... L'islamophobie  comme la judéophobie se combattent politiquement -pas religieusement.


« Ils n'auront plus faim, il n'auront plus soif...»

La religion ne s’éteint pas comme un incendie : elle s’embourbe comme une inondation. Et cela prend du temps : au début du XXIème siècle de l’ère chrétienne, 70 % des Français se faisaient encore enterrer religieusement (du moins leur famille l’avait-elle décidé pour eux). Que la mort soit toujours révoltante est d’autant plus évident qu’elle est devenue invisible, sauf comme spectacle. Le passage vers le néant doit être marqué, les religions sont là pour cela, et à cela au moins –mais à cela seul- peuvent-elles encore servir. Et puisque nul ne vit autrement qu’entre une naissance qu’il n’a pas choisie et une mort qu’il ne peut éviter, autant ajouter à l’absurdité de ce passage l’absurdité du signe qui le clôt. Ce signe est un signe de mort, et un signe mort : que les cadavres des hommes soient accompagnés de celui de leurs dieux rendrait au moins les hommes égaux des dieux, si les hommes ne s'acharnaient à s'inventer des dieux, ou à vouloir honorer ceux qu'avant eux d'autres inventèrent. Même les meilleurs succombèrent à cet étrange besoin de se donner des maîtres : dans son « projet d'institutions », Saint-Just proposait que l'on proclamât que « le peuple français reconnaît l'Etre suprême et l'immortalité de l'âme » : la révolution avait-elle besoin de cette foutaise ? Il faut croire. Ou alors, sinon la révolution, du moins les institutions dont elle accouchait, et sinon de cette foutaise, de n'importe laquelle qui puisse parer au désordre du doute et de l'indiscipline que, forcément, instille l'athéisme. Il n'y a cependant pas long temps de la Fête de l'Etre Suprême à Thermidor... « Les premiers jours de tous les mois seront consacrés à l'Eternel », prescrivait ensuite le révolutionnaire, qui poursuivait : « le peuple français voue sa fortune et ses enfants à l'Eternel », dont l'hymne « est chanté par le peuple tous les matins dans les temples» et au commencement de «toutes les fêtes publiques». Allahou Akbar !

Le badigeon post-moderne passé sur le cadavre de Dieu fait pourtant un beau spectacle : le cadavre est télégénique, la nécrophilie est médiatique. Cette branlette s’étudie et s’enseigne comme elle se vend, et lae remplissage spectaculaire de la vacuité de la religion sous le capitalisme de l’âge « informationnel » se communique aisément par anciens et nouveaux media, tous formant réseau. La religion n'est plus cet «  opium du peuple » en quoi Marx la résumait dans son débat avec Feuerbach (un débat où, décidément, nous sommes du côté de Stirner...), mais elle en est toujours le spectacle. L'« opium du peuple » était la consolation des inconsolables, l'espérance des désespérés (et le moyen pour les puissants d'éteindre leur colère en leur promettant une éternité meilleure dans un autre monde), le spectacle du peuple est son somnifère.

Aucun ordre social ne tient par la seule vertu -si vertu il y a là- de ses seules productions matérielles, ni aucun pouvoir par la seule force de la répression. La société bourgeoise, le capitalisme (socialisé ou non) dépendent, comme les sociétés et les modes de production qui les précédèrent, et comme ceux qui les suivront si nous n’y mettons bon désordre, de la servitude volontaire des sociétaires et des producteurs, c’est-à-dire de la fabrication d’une culture, exprimant une idéologie, et transmise par les moyens de communication et d’information (les media) du moment. Et dans cette idéologie, il y a toujours de la religion, même si on a renoncé dans nos sociétés à l'obligation d'en avoir une, la punition de n'en pas avoir, la sanction de ne pas avoir la bonne ou de faire de celle qu'on a autre chose que ce à quoi elle sert : de «ciment social». Car qu'on se le dise : la religion n'est pas là pour changer le monde, elle est là pour faire supporter le monde tel qu'il est et quand des fidèles, prenant au mot les promesses des religions, se mêlent de vouloir les réaliser dans ce monde en voulant le changer, la foudre s'abat sur eux -non la foudre de Dieu, mais celle des puissants. Les prophètes ne parlent pas de révolution, ils parlent pour ne rien dire qui vaille ici et maintenant, et quand l'Apocalypse de Jean promet aux malheureux : « Ils n'auront plus faim, il n'auront plus soif, le soleil et ses feux ne les frapperont plus », ce n'est pas en les incitant à se battre pour que cette promesse se réalise, mais en les invitant à prier pour que la Cité de Dieu leur tombe du ciel. Quant aux impatients, tels les anabaptistes de Münzer, leur sort à eux est scellé ici-bas, et non dans l'au-delà : Luther se range du côté des princes et des bourgeois contre ces fous, appelle à leur extermination -et l'obtient. Massacrés, il est vrai qu'ils n'avaient plus faim ni soif et que le soleil ne les brûlait plus -les bûchers y suffisant.

Alors, décidément, et sans confondre dans le « maître » le Dominus à proscrire et le Magister à respecter (pour autant qu'il ait à nous enseigner les moyens et l'urgence de l'émancipation), décidément,  « Ni Dieu, ni Maître ! »...

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