De la crèche au corral ?

On ne votera pas seulement, le 9 février, sur la dernière en date des initiatives xénophobes et sur la version suisse de l'offensive intégriste contre le droit à l'avortement, mais aussi, à Genève, sur le maintien de la qualité de l'accueil dans les crèches, menacée par une loi votée par la majorité de droite et d'extrême-droite du Grand Conseil, et qui, en ignorant superbement un accord passé entre le Conseil d'Etat et le personnel de la petite enfance, abaisse, sous prétexte de faciliter la création de nouvelles places d'accueil,  les exigences d'encadrement des enfants et de formation du personnel devant l'assurer.  Pour éviter d'avoir à financer la création de nouvelles places en maintenant la qualité d'accueil existante, on péjore cette qualité. En 40 jours, les référendaires (toute la gauche et les syndicats) avaient recueilli près de 28'000 signatures, quatre fois plus que nécessaire. C'est de bon augure, mais c'est par un vote, maintenant, qu'il s'agit de le confirmer, l'augure.

 «  Tromperie sur la marchandise  »...

vec quasiment 10 % de l'électorat cantonal ayant émis, en signant le référendum contre la dégradation des conditions d'accueil de la petite enfance,  un « non » à cette dégradation avant même de savoir si vote il y aurait, on pourrait se dire assez bien partis, et la droite et les communes résidentielles assez mal barrées -encore faut-il transformer dans les urnes l'essai réussi au bas des feuilles de signatures.

Anne Emery-Torracinta a qualifié la loi votée par le Grand Conseil de « tromperie sur la marchandise », et en effet la loi promet des places nouvelles de crèches mais ne garantit qu'une dégradation des conditions d'accueil; elle promet que les communes pourront profiter des nouvelles normes proposées pour accroître leur effort (et certaines d'entre elles peuvent précisément le faire sans effort, tant leurs ressources sont suffisantes et leur action maigrichonne dans ce domaine), mais on peut d'ores et déjà parier qu'elles en profiteront pour faire des économies de personnel; elle se présente comme la concrétisation d'un article constitutionnel imposant aux communes et au canton de combler d'ici à 2017 les besoins en accueil de petits enfants (il manque 2000 à 3000 places) mais elle dénature ce mandat en édictant la norme d'encadrement la plus faible de Suisse... Avec les nouvelles normes d'encadrement proposées , on passerait d'un adulte pour huit enfants de 2-3 ans à un adulte pour dix enfants, et d'un adulte pour dix enfants plus grands à un pour treize. L'un des plus mauvais, sinon le plus mauvais, taux légal d'encadrement en Europe. Y'en aurait point comme nous, mais point de plus mauvais.
Comme on ne va pas pouvoir repousser les murs des crèches, on licenciera du personnel qualifié (la loi réduit l'encadrement par des éducatrices diplômes) pour faire des économies sur les salaires, en dégradant les conditions d'accueil dans les crèches. Or les taux d'encadrement actuels, sont déjà parmi les plus mauvais de Suisse (contrairement à ce qu'ont prétendu les auteurs de la loi) et dans la plupart des crèches, le dispositif d'accueil est déjà très tendu. En le réduisant de 25 %, on ne va pas accueillir plus d'enfants dans des locaux déjàt trop exigus, d'autant qu'une norme internationale dispose que l'espace disponible pour chaque enfant doit être d'au moins trois mètres carrés. Alors on réduira considérablement les prestations fournies aux enfants (et donc aux parents), l'attention apportée à chacun d'entre eux et les activités en petits groupes. Et on prendra le risque de péjorer la sécurité des enfants.

Ainsi passe-t-on de la création de conditions propices au développement des enfants à un simple gardiennage supplétif de celui que ne peuvent assurer les parents. De la crèche au corral, en somme. Or, relève la Conseillère administrative Esther Alder, «  la crèche est aussi un lieu de détection et de prévention précoces des situations à problèmes et des enfants à besoins spécifiques, pour lesquels nous pouvons envisager des mesures le plus tôt possible, et moins coûteuse à long terme ».  C'est cette mission des lieux d'accueil de la petite enfance que le projet de la droite remet en cause. 18 magistrats municipaux ont signé un manifeste d'opposition au projet du Grand Conseil. Ces magistrats sont ceux des communes qui fournissent le plus gros effort d'accueil de la petite enfance : en Ville de Genève, l'offre de places de crèches, garderies et jardins d'enfants est passée de 32 % à 64 % de la demande entre 1999 et 2011. Dans les grandes communes urbaines, les Municipalités font également l'effort que les parents attendent d'elles -mais on se doute que les magistrats qui soutiennent la révision de la loi sont, à l'inverse, ceux des communes qui se reposent sur les autres pour cet accueil.
C'est ainsi que sur le terrain peuvent se vérifier les différences, très concrètes, entre des municipalités de gauche et des municipalités de droite. Comme le dit le titre d'un papier de Manuel Tornare dans la Tribune de Genève, « Le bon encadrement a un prix ». Et ce prix, il y a les Municipalités qui acceptent de le payer et les autres.
On trouve difficilement plus simple, comme clivage...

Commentaires

Articles les plus consultés