Dumping salarial : les beaux discours des gouvernants

Cause toujours...

« La sous-enchère salariale n'est pas une fatalité », avait déclaré la Conseillère d'Etat Isabel Rochat (qui n'était pas non plus une fatalité), en commentant les résultat d'une enquête menée pour le compte de son département par le professeur José Ramirez, de la Haute Ecole de Gestion. L'enquête aboutissait à la conclusion que l'importance de la main d'oeuvre frontalière dans un secteur n'a aucune influence sur l'importance de la sous-enchère salariale. Et que ce sont les contrôles par l'Etat et les « partenaires sociaux » qui font reculer ce dumping, là où ses contrôles sont effectifs. Or le canton ne dispose que de 17 inspecteurs et inspectrices du travail, soit un-e pour 17'000 postes de travail à surveiller. Il en faudrait au moins deux fois plus. Ce que demande une initiative syndicale, combattue par le patronat... et le Conseil, d'Etat. Ce qui n'empêche pas le tout nouveau ministre genevois de l'Economie, Pierre Maudet, de rouler les mécaniques dans « Le Matin Dimanche » : « je vais traquer le dumping salarial, le traquer et le punir enfin » ! Cause toujours...


Combattre le dumping salarial sans s'en donner les moyens ?

Donc, l'étude du professeur Ramirez, bêtement publiée en période électorale, confirmait que l'emploi de travailleurs frontaliers n'a aucune incidence sur le risque de sous-enchère salariale, mais qu'en revanche la faiblesse des contrôles publics et paritaires accroît ce risque. Dont les femmes sont les principales victimes,  avec les travailleurs (et donc surtout les travailleuses) au statut précaire. Il n'est pas sans importance de relever que le secteur étudié où la lutte contre le dumping salarial a été la plus efficace, le gros oeuvre de la construction, dispose d'une convention collective de travail étendue à l'ensemble du secteur et des entreprises, et que les « partenaires sociaux » contrôlent ensemble les chantiers, alors que dans l'hôtellerie et la restauration, le dumping salarial sévit lourdement parce qu'aucune commission paritaire n'existe pour vérifier le respect de la convention collective et qu'une seule personne doit contrôler tout l'Arc lémanique. Quant au commerce de détail, où il n'y a plus de convention collective mais seulement un contrat-type, si la situation ne s'y est pas dégradée c'est que le canton a renforcé sa surveillance en réalisant plus de 350 contrôles.
Pour le reste, l'enquête du professeur Ramirez confirmait que l'emploi de frontalier n'a aucun effet de dumping salarial -mais on le savait déjà. Et l'extrême-droite aussi, ce qui ne l'empêchait pas, et ne l'empêchera toujours pas de clamer le contraire : ceux à qui elle s'adresse se contrefoutent autant de la réalité qu'elle-même se contrefout de la situation des victimes de la sous-enchère salariale. C'est le principe de Goebbels : un mensonge répété finit toujours par passer pour une vérité. On rappellera tout de même celle-ci, de vérité : les coupables de la sous-enchère salariale, ce ne sont pas les salariées et les salariés sous-payés, ce sont les employeurs qui les sous-paient, y compris les employeurs membres (voire candidats) du MC, et les pouvoirs publics qui refusent d'accorder au contrôle des conditions de salaire et de travail les moyens nécessaires à leur efficacité.

L'initiative syndicale qui exige le doublement des effectifs de contrôleuses et contrôleurs du travail, pour renforcer les possibilités de contrôle et combattre le dumping salarial là où il n'a pas encore pu être efficacement combattu, est combattue par le patronat et le Conseil d'Etat, qui refusent d'accorder aux syndicats ce que demande l'initiative : la possibilité d'intervenir directement pour faire respecter par les employeurs les normes légales, réglementaires ou conventionnelles... Or le rapport commandité par l'Etat confirme que seul un système de contrôle plus efficace fait reculer le dumping salarial...  et le Conseiller d'Etat Maudet reconnaît que si « le risque de dumping salarial existe », c'est « d'abord parce que plus de la moitié des salariés à Genève ne jouit d'aucune Convention collective de travail », et que donc le « partenariat social » ne suffit pas à réduire le risque de sous-enchère salariale.
Dans Le Matin Dimanche d'avant-hier, l'entretien avec Pierre Maudet est affublé de ce titre maladroit : « Je vais traquer le dumping salarial, le traquer et le punir enfin ». Comme si on pouvait « punir » le dumping. Ce sont ceux qui le pratiquent et en profitent, qu'il faut punir -par là où ils pèchent : par le porte-monnaie. Et ceux qui en profitent, ce ne sont pas les salariés sous-payés, ce sont leurs employeurs. «  C'en est fini de l'impunité (des employeurs) qui laisse à penser que l'ultralibéralisme est sans limite », proclame fièrement Maudet. On salue l'annonce (tout en notant au passage que « l'ultralibéralisme » est par définition « sans limites », et que dès lors que l'on veut y poser des limites, on en sort forcément, de l'ultralibéralisme...). On salue l'annonce, mais on attend autre chose. Des actes.
Et on se demande quelle cohérence il y a à annoncer fièrement qu'on va « traquer » le dumping salarial tout en combattant une initiative syndicale qui, précisément, donnerait les moyens de cette traque...

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