Grippe xénophobe annuelle : Quel anticorps ?



 
Les initiatives xénophobes, dans ce pays, tiennent de la grippe saisonnière, à un rythme à peine ralenti : depuis 40 ans, il nous en tombe une chaque année. Explicite (comme celle à laquelle nous avons à faire et qui sera soumise au vote indigène le 9 février) ou non (comme le furent les initiatives pour le renvoi des « criminels étrangers » (mais pas des criminels suisses, on est dans le protectionnisme) ou contre les minarets, pris comme symboles de la présence d'une « religion étrangère à nos valeurs chrétiennes » -en oubliant que ces valeurs chrétiennes sont construites sur un soubassement païen. Contre la grippe saisonnière, cependant, des vaccins sont disponibles. Pas contre le virus xénophobe annuel.

 
 
 
Dans la famille Schwarzenbach, on demande Anne-Marie...

On vous parle (on rabâche...) d'un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître: le temps de l'« initiative Schwarzenbach » contre la « surpopulation étrangère », mère de toutes les batailles xénophobes de ces quatre dernières décennies, d'où qu'elles sourdent. A cette initiative, Max Frisch avait répondu, parlant des travailleurs étrangers, par cette phrase restée aussi célèbre que l'initiative elle-même : « on voulait des bras et ce sont des hommes qui sont venus ». Et on en est toujours là. Et las de devoir répéter depuis 40 ans que la migration est l'état naturel de l'espèce humaine depuis qu'elle existe (en gros un million d'années) sans quoi il n'y aurait toujours d'humains qu'en Afrique, et que, hors les cas de catastrophes climatiques ou de guerres, elle se dirige toujours de la pauvreté vers moins de pauvreté et de l’oppression vers plus de liberté. Et qu'il n'y a donc qu'un seul moyen de « préserver » un pays de l'immigration, en oubliant que les xénophobes indigènes eux-mêmes procèdent d'immigrants : rendre ce pays au moins aussi pauvre et oppressif que les pays d'émigration -on immigre assez peu en Corée du Nord.

L'« initiative Schwarzenbach » avait été repoussée. De justesse (elle avait été acceptée dans les quartiers de gauche), après, notamment, une intense campagne de la droite traditionnelle et du patronat. Qui remet le couvert : En décembre dernier, le journal patronal genevois Entreprise Romande nous sert cet argument massue et mobilisateur : l'initiave udéciste est inutile car « l'immigration ralentira bien assez tôt, dès la prochaine crise économique, sans qu'il ne (sic) soit besoin de la contingenter ».  Exaltante perspective solidaire. Bref, à droite, on s'inquiète : le contingentement migratoire que veut ressusciter l'UDC risque de priver «l'économie» de la main d'oeuvre nécessaire, et qu'elle ne trouve pas au sein de la population résidente. D'autant que, face à ce contingentement, les secteurs économiques seraient concurrents les uns des autres... Ajoutez à cela les risques de mesures de rétorsion européennes frappant les exportations, et vous aurez compris pourquoi le patronat suisse va s'engager résolument dans le combat contre une initiative émanant d'un parti qui, sur les autres enjeux, lui est un allié fidèle... A gauche, on n'est pas en reste d'argumentation utilitariste, en rappelant par exemple que c'est grâce aux salariés immigrants que les assurances sociales tiennent financièrement debout. Et grâce aux bas-ventres immigrés que la démographie helvétique ne ressemble pas à un recensement des pensionnaires d'EMS.  A gauche comme à droite, on explique donc que les immigrants, on les accepte parce qu'on en besoin. Pour occuper les emplois que « notre économie » (version de droite) crée (elle en a créé 565'000 en dix ans) ou que nos services publics (version de gauche) exigent, ou pour faire les gosses que les indigènes ne font pas. On complète ainsi la vieille citation de Max Frisch : aux bras qu'on avait appelé (et « et ce sont des hommes qui sont venus »...) s'ajoutent désormais les couilles et les utérus. L'immigrant-e doit produire. Et se reproduire. Pour nous, et à notre place.

Et la « libre circulation » conçue comme un droit fondamental  réciproque ? Et cette idée, insensée, que les migrants, même ceux qui sont en situation irrégulière, ont les mêmes droits fondamentaux que les résidents ? N'en parlez pas, imprudents, ça fait peur, or on doit rassurer. Comme il y a quarante ans.  Eh bien non : on va remettre le couvert d'une argumentation dont nous doutons qu'elle puisse faire changer de colère celles et ceux pour qui, quel que soit le problème, « les étrangers » en sont responsables, mais à laquelle nous ne pouvons renoncer, parce qu'elle nous tient de l'anticorps, et que nous ne pouvons nous contenter de celle, utilitariste, que produit, avec la même régularité que nous produisons la nôtre, la droite patronale.
On avait bien fait il y a quarante ans, de ne pas jeter à la poubelle de l'histoire notre matériel de campagne contre l'initiative Schwarzenbach... Parce que dans la famille Schwarzenbach, nous,  on demande Anne-Marie.

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