Social-xénophobie : Quand on vote comme on crie...

Il y a un danger spécifique à des initiatives proclamatoires du genre de celle de l'UDC sur l'« immigration massive » : le danger de les voir soutenues parce qu'on n'attend pas de les voir appliquées, qu'on ne pense même pas qu'elles seront acceptées, et pour lesquelles on vote comme on scande un slogan. Sauf que ce n'est pas d'un slogan dont il s'agit, mais d'une norme de droit, constitutionnelle, qui, si elle est acceptée, aura donc des effets -mais pas ceux qu'attendent certains de ses partisans. Sauf à, délibérément, décider de ne pas l'appliquer alors qu'on le devrait. L'initiative de l'UDC n'est pas un sondage d'opinion, mais une proposition qui exige l'impossible : une gestion «autonome» (à la nord-coréenne ?) de l'immigration des étrangers, et le retour à des contingentements bureaucratiques qui n'empêchaient pas une immigration encore plus importante que l'actuelle. Ce n'est évidemment pas ce que souhaitent la plupart des partisans de l'initiative, mais quand on vote comme on pousse un cri, il arrive que ce cri vous revienne en pleine figure, comme un boomerang ayant raté sa cible.

La Suisse en 2060  ?  60 % d'étrangers, 60 % de musulmans, et 350 % d'udécistes, léghistes et èmecégistes...

Un peu partout, même à gauche, on commence à entendre, parant de vertus le fétichisme des frontières, la petite musique du « protectionnisme social » -un protectionnisme contre les étrangers, au prétexte de maintenir les droits sociaux des indigènes. Cette xénophobie suave, dont témoigne par exemple la prise de position des Verts tessinois en faveur de l'initiative udéciste (pour dénoncer les effets de l'emploi frontalier mais en oubliant, à la grande jubilation des partisans de l'initiative udéciste, tout le reste du contenu de l'initiative) ne rejette plus l'étranger par ethnisme, racisme, nationalisme ou tribalisme, mais au prétexte de sauver un « modèle social » que l'immigration, ou la « libre circulation » en soi, sans mesures d'accompagnement ou avec des mesures d'accompagnement insuffisantes, menacerait. Chaque droit accordé à un étranger serait ainsi une menace pour ce même droit conquis par les indigènes, et pour le «  modèle » social, culturel et politique qui a permis cette conquête.
S'agissant des droits sociaux, et de leur contenu matériel, l'argumentaire se fait comptable, et s'adresse aux « classes moyennes » inférieures, menacées de prolétarisation : les indemnités chômage ou invalidité, les retraites, les allocations accordées à des immigrés pèseraient trop lourd sur les budgets pour que l'on puisse maintenir ces mêmes indemnités et allocations aux indigènes. Lesquels vont se retrouver cultiver le fantasme d'une politique sociale « favorisant les étrangers » (mais aussi les « parasites » locaux, c'est.-à-dire les plus pauvres, toujours utilisables pour effrayer de moins pauvres qu'eux craignant de le devenir autant), et la conviction qu'il faut pour défendre son propre avenir, se défendre non contre les forces politiques qui s'attaquent aux droits sociaux, mais contre les immigrants et les précaires qui en bénéficient.
Rien de tout cela, au fond, n'est vraiment nouveau : A chaque votation liée à la « question des étrangers » (puisqu'il s'avère que pour une bonne part de la population, il y a une «question des étrangers»...), on constate la prégnance, au moins de la xénophobie, voire d'un « racisme subtil », homogénéisant une catégorie « étrangers » où plus aucune différence n'est faite entre les immigrants et les étrangers résidents, les requérants d'asile et les immigrants au titre de la libre circulation etc... Ainsi est-on passé d'une xénophobie ciblant les Italiens à une xénophobie ciblant les Espagnols, puis les Portugais, puis les Turcs, puis les Tamouls, puis les «balkaniques», puis, nouvelle catégorie indifférenciée, les «musulmans». Depuis plus de dix ans, 45 % de la population approuve une affirmation du genre « les politiciens devraient se soucier plus des Suisses et moins des étrangers ». Et sans doute une proportion plus importante encore de l'électorat cette autre affirmation, dérivée du bon vieux « le Pen soulève de vrais problèmes mais propose de fausses solutions » : « tout le monde est d'accord pour dire que la libre circulation pose de gros problèmes, mais la solution proposée est mauvaise »...
Cette xénophobie ordinaire se trouve légitimée par le fait qu'un parti qui en use constamment, l'UDC, est présent dans les plus hautes institutions du pays, dans plusieurs gouvernements et dans tous (sauf erreur) les parlements cantonaux. Certes, lorsque l'UDC a pris la suite du parti agrarien, le terrain de la xénophobie avait déjà été exploité (par les initiatives Schwarzenbach, Oehen et suivantes, par exemple), mais la libération de la parole raciste par l'UDC (et quelques partis locaux, comme la Lega tessinoise ou le MCG genevois) l'a banalisée. En usant au passage de statistiques falsifiées, comme celle qui lors de la votation sur l'initiative «antiminarets»,  nous annonçait que, la proportion de musulmans dans la population doublant tous les dix ans, l'islam sera la religion majoritaire en Suisse dans quarante ans, et qui cette fois nous annonce une Suisse de 16 millions d'habitants en 2060, dont une majorité d'étrangers... Le même genre de calcul nous aurait prédit, sur la base de la progression de l'UDC ces vingt dernières années, un score de 350 % des suffrages pour ce parti...
Il est vrai que, catastrophes pour catastrophes, autant en annoncer d'irremédiables...

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