Tiens, fume, c'est du genevois !

Pot tenebras lux !

ça n'a l'air de rien, d'un tout petit pas vers la reconnaissance d'une évidence, mais cela tient tout de même de la rupture : un groupe de travail « interpartis » genevois (n'y manquait qu' «  Ensemble à Gauche » , parce que ce groupe rassemblait les partis représentés au Grand Conseil dans la législature défunte et qu'EàG n'y était pas représentée...) propose de rompre avec la répression de la consommation du canabis, et d'autoriser sous contrôle public des « cercles de consommateurs », sous contrôle public. Une porte s'ouvre, et il était temps : Depuis la fermeture, il y a dix ans, de l'expérience du  « Delta 9 » de culture et de vente contrôlées de cannabis, on n'avait pas bougé d'un poil : on continuait à considérer le cannabis à l'instar de l'héroïne ou de la cocaïne, c'est-à-dire à en pénaliser la production, la consommation et la vente, et à refuser d'admettre qu'on gigote dans une impasse en remplissant les prisons, nourrissant les réseaux mafieux et consumant en Suisse, chaque année, 200 millions de francs pour rien.


Mieux vaut pétard que jamais...

Les méthodes les plus efficaces de lutte contre la toxicomanie sont définies par les substances, non par leur statut légal : ce qui est efficace contre l'usage de l'héroïne (les programmes de substitution, par exemple) ne l'est pas contre l'usage de la cocaïne, du cannabis ou de l'alcool. S'agissant du cannabis, la décriminalisation de son usage est sans doute le seul moyen d'« assécher », le marché illégal, de le rendre moins intéressant pour les réseaux criminels. On consomme 130 tonnes de cannabis par an en Suisse, pour un chiffre d'affaire de l'ordre du milliard. Entièrement au profit des réseaux de trafiquants. Dans un marché totalement libéralisé. Mais illégal. Mafieux. Or ce n'est pas la substance elle-même qui produit la criminalité, c'est son statut légal -la prohibition de n'importe quel produit en génère le trafic : interdisez les hamburgers, vous aurez des dealers de hamburgers...

La proposition du groupe « interpartis » genevois, que pour l'instant seule l'UDC, pourtant représentée dans le groupe de travail a refusée (et le soutien à l'agriculture de proximité alors ?) est de bon sens -elle n'est pas révolutionnaire, seulement pragmatique. Il ne s'agit même pas d'accorder au cannabis le même statut qu'à l'alcool, seulement de mettre fin à une hypocrisie nuisible en autorisant la création de « cercles de consommateurs » de cannabis pour lutter contre le deal et réduire l'insécurité qu'il génère. Dans ces cercles (des associations contrôlées par l'Etat) la distribution, la vente et la consommation de cannabis, à teneur de principe actif plus faible que celle du produit accessible au marché noiir, serait autorisée aux membres du cercle, réservé aux résidents genevois. On va donc moins loin que là où sont allés les Pays-Bas et, tout récemment, l'Uruguay : on ne légalise pas le cannabis, on tente seulement d'en expérimenter le contrôle de la production, la distribution et la consommation locales. Et Genève ne serait pas pionnière en la matière : Le mois dernier, le parlement uruguayen a adopté une loi de régulation de la production, du commerce et de la consommation du cannabis; aux termes de la loi, l'Etat contrôlera cette production et cette distribution (la consommation est déja dépénalisée depuis 40 ans dans ce pays). La loi prévoit trois modes d'accès : la production individuelle (jusqu'à six plants) pour la consommation personnelle, la production par des clubs de consommateurs (45 personnes et 99 plants au maximum), la vente contrôlée en pharmacie (40 grames maximum par mois).

Un demi-million de personnes dans notre pays consomment ou ont consommé, du cannabis. Illégalement. Sans que ce nombre soit réduit par la prohibition de ce qui est consommé. La répression de la consommation de drogue n'a jamais, nulle part, donné de résultats probant -au contraire : en contraignant le consommateur à s'approvisionner illégalement, elle le met en relation avec des trafiquants, eux-mêmes insérés dans des réseaux mafieux. Un toxicomane trouvera toujours le moyen de s'approvisionner, en payant à des prix prohibitifs des substances de qualité souvent douteuse. Car même interdit, le cannabis reste très facilement accessible, en permanence et à deux pas de chez soi  dans une ville comme Genève, mais son commerce engraisse les réseaux criminels, génère de l'insécurité (« pourrit la vie des Genevois », résume l'animateur du groupe interpartis, Sandro Cattacin) et entrave les actions de prévention. Le produit distribué illégalement n'est pas contrôlé, les consommateurs ne sont pas protégés, les vendeurs et leurs fournisseurs échappent le plus souvent à la répression (et même quand ils n'y échappent pas et se retrouvent en prison, ils sont aussitôt remplacés par d'autres). L'autorisation de la production et de la distribution locales de cannabis n'implique nullement un renoncement à la lutte contre le trafic de drogues, qui va être renforcée en Uruguay et pourrait également l'être à Genève si on légalisait ce qui peut l'être -la production, la distribution et la consommation locales.
Mieux vaut pétard que jamais.

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