Dumping salarial : la loi va-t-elle être appliquée ? et comment ?

« Responsabilité solidaire » : le test genevois

En décembre 2013, le parlement fédéral voté le principe d'une «responsabilité solidaire» des employeurs principaux avec leurs sous-traitants (et les sous-traitants de ces sous-traitants -et ainsi de suite)  dans le secteur de la construction. La loi concrétisant ce principe est entrée en vigueur en juillet, mais si les syndicats ont salué une « avancée », ils en ont constaté les insuffisances : le principe de la « responsabilité solidaire » ne s'appliquera qu'au secteur de la construction,  la possibilité même de la sous-traitance (et de la sous-traitance en cascade) n'est pas limitée, l'employeur principal n'est tenu qu'à un « devoir de diligence » et n'encourt, s'il prouve qu'il a rempli ce devoir, aucune sanction en cas de dumping salarial de l'un de ses sous-traitants, et on ne pourra s'en prendre à lui que si on a auparavant épuisé toutes les démarches auprès de ses sous-traitants. Ce qui fait de  la « responsabilité solidaire »  une responsabilité limitée, et exceptionnellement solidaire. Mais pour la première fois, la loi pourrait être appliquée. A Genève...


Un dumping salarial bien de chez nous. De souche. Indigène.

Donc, l'application de la loi sur la «responsabilité solidaire» est requise, par deux syndicats (Unia et le SIT), dans deux cas genevois, liés à des chantiers de l'Hôpital cantonal. Dans le premier cas, celui du chantier Bat-lab, c'est une entreprise polonaise (Blato), sous-traitante d'une entreprise allemande (Lindner) ayant obtenu le mandat des HUG, qui est en cause: des ouvriers étrangers embauchés par Blato étaient payés trois fois moins (9,80 francs au lieu de 24 francs) que le salaire minimum de la branche. Dans le second cas, l'entreprise traitante (Progin) est suisse, comme l'entreprise sous-traitante (BS Générale, puis, après sa faillite il y a trois mois, SB Montage, qui n'est qu'une sorte d'alias de la première).
La principe de la «  responsabilité solidaire » consiste en ce que le maître d'ouvrage (dans les deux cas genevois, les Hôpitaux Universitaires de Genève) soit responsable des éventuels abus de toutes les entreprises, traitantes et sous-traitantes, œuvrant pour lui. Le problème est que la loi devant concrétiser ce principe (et ne le concrétisant que fort partiellement) cultive un certain flou sur la désignation de l'instance compétente pour traiter des cas dénoncés par les syndicats (ou, directement, par les travailleurs) : les prud'hommes ou une cour civile ? Ensuite, on ne sait si les salariés lésés doivent se tourner contre leur employeur (l'entreprise sous-traitante), l'entreprise traitante ou le maître d'ouvrage. Les actions lancées par les syndicats genevois vont en tout cas faire jurisprudence, et permettre d'identifier les problèmes à régler, dans la loi elle-même, pour qu'elle remplisse le rôle qui est supposé être le sien : celui de réduire les abus, le dumping salarial et social, liés à la sous-traitance en chaîne.

Il se trouve que les deux cas genevois dénoncés par les syndicats démontrent que ces abus sont indépendants de la nationalité des entreprises abuseuses et de celle des travailleurs abusés : si dans le premier cas l'entreprise sous-traitante mise en cause est polonaise et l'entreprise traitante allemande, dans le second cas, entreprise traitante et entreprise sous-traitante sont toutes deux suisses (la sous-traitante ayant en plus la caractéristique d'être le surgeon d'une précédente sous-traitante, mise en faillite).  Ces entreprises suisses sont productrices d'un dumping salarial bien de chez nous. De souche. Indigène. Irréductible à un discours xénophobe (à moins de s'en prendre aux ouvriers victimes de ces pratiques, étrangers comme l'écrasante majorité des ouvriers de la construction dans ce pays depuis des décennies...).
Comme l'écrit le SIT dans le communiqué annonçant qu'il a mis en demeure l'entreprise PROGIN d'assumer les créances salariales de ses sous-traitants, c'est «  la sous-traitance abusive »  qui, quelque soit la nationalité des entreprises concernées, « favorise dumping salarial et social », face à quoi il s'impose de « durcir les toutes nouvelles dispositions concernant la responsabilité solidaire des entreprises ». Durcir la lutte contre le dumping salarial et social, non contre les travailleurs qui en sont les victimes.
L'inverse, en somme, de ce que propose l'UDC dans la dernière en date (mais pas la dernière en agenda politique) de ses initiatives xénophobes...

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