Une croisade contre les femmes : l'interruption volontaire de solidarité



Il y a quelques jours, des milliers de manifestants réclamaient, à Washington et à Paris (avant que le parlement français abolisse la « clause de détresse » dans la loi) la fin du droit des femmes à interrompre leur grossesse, et dans quelques jours on votera en Suisse sur une initiative lancée par des milieux très chrétiens  très réactionnaires, en tout oécuménisme intégriste catholique-protestant (les églises protestantes, cependant, appellent à voter NON), initiative qui demande que les interruptions volontaires de grossesse ne soient plus remboursées par l'assurance-maladie de base. Le débat fait rage également en Espagne, où le gouvernement de droite, soutenu par l'église catholique et son pape, veut rendre illégales plus de 90 % des IVG actuellement pratiquées -certains voulant carrément en revenir à la criminalisation sans exception prévalant sous Franco -en même temps qu'y prévalait la peine de mort...  Bienvenue dans le passé... 
 
 

A qui appartiennent le ventre et le sexe des femmes ? A Dieu, leur famille, la société... ou aux femmes elles-mêmes ?

Les fondamentalistes religieux suisses refusent, par « objection de conscience » disent-ils (et elles...), de participer par leurs cotisations d'assurance à la prise en charge financière des IVG. Mais cette participation ne relève de rien d'autre que du principe de solidarité constitutif d'une assurance sociale : celles et ceux qui n'ont pas à subir, ou s'y refusent, une intervention médicale, et une IVG en est une, paient pour celles et ceux qui ont à la subir, et cela vaut pour les interruptions volontaires de grossesse comme pour les soins à ceux dont la tabagie à ravagé les poumons  (les non-fumeurs paient aussi pour eux), aux automobilistes s'emplafonnant dans un platane (les piétons paient aussi pour eux) et aux alcooliques frappés de cyrrhoses du foie (les abstinents cotisent aussi).  Dès lors, l'initiative « anti-avortement » doit apparaître pour ce qu'elle est : une interruption volontaire de solidarité.  D'ailleurs, derrière la proposition de déremboursement des IVG se profilent d'autres propositions de suppression de prestations remboursées : pour faire des économies  « il faut rayer du catalogue de l'assurance de base tout ce qui n'est pas absolument vital », plaide l'UDC bernoise Andrea Geissbühler...  Et tant pis si au bout du compte, les « économies » faites seraient bien moindres que les coûts additionnels provoqués par le manque ou le report de soins faute de remboursement: le déremboursement des IVG ne permettrait d'«  économiser » qu'un franc par assuré-e, bien moins que ce que coûteraient les soins, vitaux, nécessités par les conséquences d'avortements clandestins.

Débat éthique, nous dit-on. Débat permanent, en tout cas, auquel aucune loi, jamais, ne pourra mettre fin, pas plus d'ailleurs que l'interdiction de l'avortement ne rend l'avortement impossible -elle ne le rend qu'illégal : on estime à 42 millions le nombre d'avortements pratiqués chaque année dans le monde, la plupart (22 millions) dans des conditions détestables, dans des pays qui les interdisent totalement, ou presque totalement. Résultat : chaque année, près de 50'000 femmes en meurent. La loi n'est pas un code éthique mais une norme sociale. D'où la nécessité de reconnaître non seulement la primauté de la responsabilité individuelle de celles qui ont à décider d'interrompre ou non leur propre grossesse, et ne banalisent jamais leur choix, mais aussi la nécessité d'abolir tous les obstacles matériels à la liberté de ce choix. Or sous l'apparence d'une proposition justifiée par une argumentation financière bricolée sans grand souci de vraisemblance, on est en plein débat idéologique : les fondamentalistes religieux qui ont lancé l'initiative ne remettent pas en cause le remboursement des avortements, mais le droit même des femmes à décider de la poursuite ou non de leur grossesse. S'ils s'avancent masqués, c'est qu'ils savent qu'une offensive frontale contre le droit à l'IVG n'aurait aucune chance. Et peu importe à ces croisés que la décriminalisation de l'avortement accompagnée de la généralisation de la contraception et de l'« éducation sexuelle», en ait fait reculer la pratique (de 1520 interventions en 2000 à 1388 en 2012 à Genève), de 170 en 2005 à 128 en 2012 sur des jeunes de moins de 19 ans), et que cette pratique en Suisse soit bien moins fréquente que dans les pays comparables. Peu leur importe aussi que la proposition de déremboursement des IVG soit socialement discriminante, et pénalise les femmes les moins argentées -les autres ayant les moyens de se soustraire à la loi en bénéficiant du meilleur encadrement médical possible.

Pour les milieux à l'origine de l'initiative soumise au vote le 9 février, le ventre des femmes n'appartient pas aux femmes. Ni leur sexe. Leur ventre et leur sexe appartiennent à Dieu, à leur conjoint, leur famille ou à la société -mais à une société dont les fondamentalistes ont la nostalgie, pas la société qui a accepté de décriminaliser l'avortement. Ce peut être un doux sentiment, la nostalgie, mais le regret des temps des faiseuses d'anges, des avortements clandestins, des aiguilles à tricoter et du tourisme abortif n'est pas une nostalgie :  c'est un remugle.

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