Le droit de vote à 16 ans ? L'âge, la raison, l'âge de raison, les déraisons de l'âge...

Le PS genevois relance un projet auquel la Constituante, d'illustre mémoire, avait renoncé en 2010, et que le PS avait déjà proposé en 2001 : abaisser l'âge du droit de vote (mais pas d'éligibilité) cantonal et communal à 16 ans, au lieu des 18 actuels. Pour les Suisses au niveau cantonal (comme à Glaris, à Berne -sauf erreur- ou en Autriche), pour les Suisses et les étrangers établis depuis 8 ans au moins au niveau municipal.  Pour les initiateurs socialistes de la proposition, il s'agit d'étendre au maximum le nombre (et donc la proportion dans la population) des personnes disposant du droit de vote, afin d'atteindre la meilleure représentativité possible de la société lors des scrutins. Il s'agit aussi de donner aux 16.-18 ans la possibilité de prendre part à des décisions qui les concernent directement (dans les domaines de la formation, des loisirs, pour ne citer que les exemples les plus évident), décisions dont on postule qu'ils sont capables de les prendre autant que leurs aînés, et dont, étant plus jeunes, ils subiront les effets plus longtemps.

C'est la logique même du suffrage universel qu'il s'agit de poursuivre...

La proposition socialiste d'abaisser à 16 ans l'âge donnant droit de voter suscite, évidemment, de fortes réticences : On voterait alors dès un âge où l'on est pas civilement responsable et auquel la vox populi majoritaire (et plus âgée) considère qu'on n'a pas encore atteint la maturité nécessaire pour prendre des décisions en toute rationalité et en toute connaissance de cause (est-on sûr que les électrices et électeurs plus âgés en disposent toutes et tous, de cette maturité et de cette rationalité ?). Le même genre d'argument avait d'ailleurs déjà été évoqué lors de l'abaissement du droit de vote de 20 à 18 ans quand les jeunes de 18 ans étaient encore civilement mineurs (et on ne saurait oublier que cet argument fut aussi opposé au suffrage féminin, et avant lui, au suffrage des pauvres...).

Fixer un âge à partir duquel on dispose de droits politiques relève forcément de quelque arbitraire : pourquoi 18 ans et plus 20 ?  Pourquoi 16 ans et pas 17 ? Mais c'est la logique même du suffrage universel qu'il s'agit de poursuivre -le Souverain étant le peuple, la part du Souverain qui dispose du droit de décision doit être la plus nombreuse possible pour être la plus grande part possible du peuple. Le suffrage universel tel qu'il fut imposé aux conservateurs par les révolutions démocratiques avait déjà élargi la base populaire des droits politiques à ceux que le suffrage censitaire excluait: les pauvres -pour autant qu'ils fussent hommes et indigènes, n'aient pas été mis en faillite ni condamnés à de lourde peines. Lentement, ensuite, l'universalité (relative) du suffrage a pris corps, en incluant les femmes, les plus jeunes adultes (octroi des droits politiques dès 18 ans en 1980, seize ans avant que la majorité civile soit fixée au même âge) puis, çà et là, les étrangers résidents.

« Les jeunes entre 16 et 18 ans ont-ils réellement envie de participer activement à la vie politique ? », s'interroge la Tribune de Genève... sans doute pas -mais les plus âgés l'ont-ils, cette envie ? Il ne s'agit d'ailleurs pas d'imposer un devoir mais d'accorder un droit, qui implique à la fois le droit de n'en pas user que le droit d'en mésuser. Et cela vaut pour les plus jeunes comme pour les autres : la hausse, ou à tout le moins la persistance, de taux d'abstention électorale frisant, atteignant ou dépassant la majorité du corps électoral est-elle la manifestation d'une érosion de l'engagement démocratique, d'un recul du sens civique, le prix de l'individualisme ? La réponse n'est pas évidente : parallèlement à l'abstention électorale (qui n'est pas la plus massive dans l'électorat des 18-20 ans mais dans celui de 20-30 ans) se constate parfois un développement d'activités démocratiques au sens le plus large. Le vote n'est qu'une manifestation parmi d'autre de l'engagement « citoyen »; il en est la forme institutionnelle, celle qui symbolise les progrès de la démocratie dans le champ étatique... mais à côté de lui, et parfois contre lui, d'autres formes de participation démocratique se constatent, pas moins légitime, en lesquelles les jeunes de 16 à 18 ans s'engagent en nombre sans doute plus nombreux qu'on le perçoit.  Nous restons à tous nos âges orphelins de grandes certitudes politiques, et souvent repliés sur des logiques de « moindre mal »; le risque est grand dès lors d'une fragmentation des engagements en autant de causes particulières qu'il s'en peut trouver de mobilisatrices, sans cohérence entre elles, et sans projet de société qui puisse les rassembler. On en a en tout cas fini avec l'illusion que les jeunes sont forcément « plus à gauche » que les autres : En Suisse, selon une étude récente, la majorité des 16 25 ans ne se situent pas politiquement, 34 % se situent à droite et 29 % à gauche...

Il y a des enjeux plus importants que celui d'abaisser le droit de vote à 16 ans ? Des causes dont la défense est plus urgente ? Sans nul doute -mais celle-là ne s'y substitue pas, elle s'y ajoute, comme nombre de celles que nous défendons et de projets que nous présentons...
Nous pouvons prendre un peu de notre temps pour élargir le cercle de celles et ceux qui peuvent décider «  au nom du peuple » dont ils font partie...

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