Lutte pour les droits des femmes : Genre d'inégalité, inégalité de genre

Le 8 mars, c'était la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Et en Suisse, dans deux semaines, on votera sur une initiative pour l'instauration d'un salaire minimum dont les salariéEs seront les première bénéficiaires, parce qu'elles sont les premières victimes des bas salaires. Dans notre prospère pays, en effet, où environ 330'000 employé-e-s gagnent moins de 22 francs de l'heure, 70% de ces travailleurs pauvres sont des travailleuses. Et l'écart entre les salaires médians des femmes et celui des hommes au plan national est de 18,4% (chiffres 2010). Au détriment des femmes, 18 ans ans après l'adoption de la loi fédérale sur l'égalité, qui interdit toute forme de discrimination basée sur le sexe. Au moment où un pseudo-débat sur une pseudo « théorie du genre » fait rage en France, il n'est pas inutile de rappeler que c'est cela, le « genre » : non pas la différenciation des sexes, mais celle des rôles sociaux attribués aux femmes et aux hommes. Des rôles construits. Et discriminants.

Question bête  : les salariées sont elles mieux payées par une patronne que par un patron ?

La loi fédérale sur l'égalité a dix-huit ans. Elle est donc majeure. Elle est pleine de bonnes dispositions : elle interdit toute forme de discrimination basée sur le sexe, sur le lieu de travail, à tout le parcours professionnel, de l'embauche à la prise de retraite, et à tous les contenus de ce parcours, du salaire à la formation continue. Mais si cette loi a permis de mettre en place des dispositifs de lutte contre les formes les plus scandaleuses de l'inégalité entre femmes et hommes sur les lieux de travail, comme par exemple le harcèlement sexuel, et si elle permet de répondre aux discriminations directes, explicites, incontestables, elle répond mal aux discriminations indirectes, qu'elle permet de contourner : on ne peut plus refuser l'embauche d'une femme parce qu'elle est une femme, mais on peut toujours la refuser parce qu'elle est mère d'enfants en bas âge.
En outre,  l'inégalité salariale persiste  : elle était de 18,4 %, au détriment des femmes, en 2010 en médiane nationale. Pour gagner autant qu'un salarié en une année, une salariée doit travailler une année et deux mois. Certes, cette inégalité salariale a été réduite (elle était de 25  % en 1998 et de 24 % en 2010, en moyenne nationale), mais cette réduction est désespérément lente (un pour mille par année en douze ans, il n'y a pas de quoi triompher). Et surtout, si une partie de cette inégalité s'explique par des raisons « objectives », telles que le niveau de formation, l'expérience professionnelle, l'ancienneté, le secteur économique), il reste une sorte de «noyau dur»  de l'inégalité qui ne s'explique, lui, que par une pure discrimination sexuelle. Même les raisons « objectives »  peuvent d'ailleurs renvoyer aux rôles sociaux des femmes et des hommes (c'est-à-dire au genre, en tant qu'il est précisément une construction sociale arbitraire) : que les femmes soient surreprésentées dans les secteurs à bas salaires, dans le travail à temps partiel, dans les secteurs gros employeurs de travail clandestin, et sous-représentées dans les étages élevés de la hiérarchie professionnelle, ne doit rien au hasard et tout, précisément, à la persistance de normes sociales. Et comme aucun dispositif légal ne contraint les entreprises à publier leurs données salariales, et que les attaques aux mécanismes salariaux automatiques, la généralisation des bonus, des primes, des gratifications aggravent la mise en concurrence des salarié-e-s  les un-e-s contre les autres, en fonction de leur sexe, de leur âge, de leur nationalité, les discriminations s'enkystent dans la réalité sans que l'on parvienne à les en extirper.

Le 18 mai prochain, on votera sur l'initiative syndicale pour l'introduction d'un salaire minimum de 22 francs de l'heure. Parce qu'elles sont les principales victimes des bas salaires, les femmes seraient les principales bénéficiaires d'une telle mesure: une salariée sur huit gagne moins que le salaire minimum proposé par les syndicats, et les branches d'activité à forte proportion de femmes parmi le personnel sont auss souvent, des branches d'activités où les salaires sont les plus bas : la vente, l'hôtellerie, la restauration, la coiffure, les soins à la personne, le nettoyage, le travail ménager pour des privés. Des secteurs souvent sans conventions collectives, ou avec des conventions collectives négociées dans un rapport de force si déséquilibré que les salaires qu'elles prévoient (quand elles en prévoient) sont plus bas que le salaire minimum. L'instauration d'un salaire minimum légal apparaît donc comme le seul moyen de sortir ces employées de leur situation de « travailleuses pauvres », et de mettre en oeuvre l'égalité salariale entre femmes et hommes. C'est là moins affaire de respect du principe général de justice sociale : l'opposition qui structure les inégalités salariales n'est finalement pas l'opposition entre salariées et salariés mais celle entre employeurs (ou employeuses) et employées (ou employés).
On nous pardonnera donc cette question bête (dont on assume pleinement la bêtise foncière) : les salariées sont elles mieux payées par une patronne que par un patron ?
Nous pardonnera-t-on aussi notre conviction que la réponse est : non ?

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