Prison en crise mais Tartuffes sereins : Cachez ce sang que je saurais voir !

Le Tribunal Fédéral a jugé que les conditions de détention dans la prison de Champ-Dollon étaient illicites et dégradantes, mais Maudot et Jornet, nos deux gardiens de la loi et l'ordre, se contrefoutent de l'avis de la plus haute instance juridique suisse : que pèsent, en effet, quelques juges fédéraux face à des milliers d'électrices et d'électeurs que les conditions de détention dans une prison préventive devenue silo de stockage des fauteurs de désordre social préoccupent aussi peu, tant que cela ne coûte rien, que l'avis du Tribunal fédéral préoccupe nos deux shérifs... La prison genevoise a pourtant été le théâtre de très violents affrontements (près de 40 blessés) il y a trois semaines -mais cette délinquance contenue dans les murs de la prison ne fait de victimes qu'à l'intérieur de la prison, chez les détenus et chez les gardiens. L'opinion publique ne s'en émeut guère, et nos Tartuffes peuvent continuer à tartuffer : « cachez ce sang que je saurais voir si vous ne le cachiez pas »... On attend le premier mort pour mettre le nez des Tartuffes dans la réalité de la prison que l'un bourre et l'autre gère ?

«  Oh, mais l'air est tout plein d'une odeur de bataille !  Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille » (Arthur Rimbaud)


En une semaine, des affrontements entre détenus, et entre détenus et gardiens, ont fait 35 blessés dans la prison genevoise de Champ-Dollon. Un gardien témoigne dans la Tribune de Genève : « il y avait du sang partout. On a vu des prisonniers avec des plaies ouvertes. D'autres, le visage en sang (...), des détenus qui sautaient à pieds joints sur la tête d'un autre ». «J'ai l'impression d'être un soldat qui risque de se faire planter », résume l'un de ses collègues. Plusieurs tentatives de suicides de détenus ont accompagné ou suivi les affrontements. Et rien ne dit, bien au contraire, que la situation va s'améliorer -pour user d'une métaphore convenue, la pression dans la cocotte-minute carcérale est toujours aussi forte, toujours pour la même raison : la surpopulation de la prison. Les mesures disciplinaires prises par la direction l'ayant été non seulement contre les fauteurs de troubles, mais parfois (comme la suspension des repas pris en commun dans les couloirs) contre l'ensemble des détenus, y compris ceux qui n'étaient impliqués dans aucun « débordement », concourent à solidariser les uns avec les autres. Pour de nouveaux affrontements possibles, mobilisant encore plus de détenus, et ne pouvant plus se résumer en affrontements « ethniques » (Albanais contre Maghrébins) ou « statutaires » (prévenus contre condamnés), mais en une sorte de mutinerie « tournante », comme on le dit d'une grève jamais générale, mais constante.

Champ-Dollon a été conçue, construite, équipée, pour être une prison préventive. Elle n'offre ni l'encadrement social, ni les possibilités de travail, ni les possibilités de formation professionnelle, ni les moyens de préparer les remises en liberté, qui sont veux d'un pénitencier. Il n'était certes pas exclu qu'elle puisse aussi accueillir des détenus en exécution de peine, mais en nombre restreint et pour de courtes durées (moins de trois mois). Or sur les près de 900 détenus de la prison, 505 y étaient en exécution de peine il y a une semaine, la majorité d'entre eux (300) y étaient depuis plus de trois mois, et n'avaient donc plus rien à y faire. Pas plus que les étrangers en situation irrégulière n'ayant commis aucune autre infraction à la loi que celle à la loi sur les étrangers : En février, 151 personnes ont été embastillées à Champ-Dollon. D'entre elles, 16 ne l'ont été que pour infraction à la loi sur les étrangers, conformément à une directive du Procureur Général. Si on extrapole ce 10 % sur l'ensemble des détenus, cela ferait près près d'une centaine d'entre eux qui contribuent à la surpopulation de la geôle genevoise pour le simple fait de n'avoir pas de titre légal de séjour en Suisse. Soyons prudents, divisons le chiffre par deux : cela fait une cinquantaine de personnes qui n'ont, elles non plus, rien à faire à Champ-Dollon.

Le syndicat des gardiens de prison (l'UPCP) répond à Maudet, qui niait que le recours systématique à l'incarcération soit l'une des causes de la tension à Champ-Dollon: « on ne peut pas raisonnablement prétendre que les 850 détenus (de Champ-Dollon) sont tous des personnes qui présenteraient un danger dans les rues de Genève ». On ne peut pas non plus raisonnablement exclure que les deux personnes qui bourrent la prison, le Conseiller d'Etat Maudet et le Procureur Jornot, ne présentent pas, eux, un danger pour Genève... même si, comme l'écrit la Tribune de Genève, l'un et l'autre «  savent bien qu'à moins d'une émeute, politiquement, ils ne risquent pas grand-chose à laisser la situation se détériorer »...  ni à accuser d’irresponsabilité le candidat de la gauche au poste de Procureur Général, Pierre Bayenet, parce qu'il refuse de considérer la prison comme l'instrument unique de la politique pénale, et la surpopulation carcérale comme le prix acceptable à payer pour tranquilliser la population.
Un irresponsable, Bayenet : n'est-il pas de ceux qui, comme nous, considèrent qu'un Etat « de droit » qui ne respecte pas son propre droit perd toute légitimité à exiger ce respect de qui que ce soit ?

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