A propos des représentants de collectivités publiques dans des sociétés privées : Potiches, otages ou délinquants ?

Aujourd'hui, ou dans un mois, le Conseil Municipal de la Ville de Genève désignera (croit-il) trois administrateurs de la société du téléréseau municipal, Télégenève (une société anonyme de droit privé), pour remplacer trois administrateurs démissionnaires, -l'un parce qu'il n'a plus le temps de se consacrer à sa fonction d'administrateur, et les deux autres parce qu'ils soutenaient le projet de vente des actions de la Ville de Genève dans la société de téléréseau et ont été désavoués par les citoyennes et les citoyens, qui ont repoussé ce projet en votation populaire. Prenons prétexte de cet épisode, et de cette société, pour poser une question bête : c'est quoi, ça peut quoi, ça sert à quoi, le représentant d'une collectivité publique dans le Conseil d'administration d'une société privée ? La réponse pourrait ressembler au titre d'une fable de La Fontaine : la potiche, l'otage ou le délinquant. Une potiche, si cet administrateur s'en tient à ce qu'il a le droit de faire. Un otage, s'il fait ce que la société attend qu'il fasse. Un délinquant s'il fait ce qu'il devrait faire...

De la solitude de l'administrateur de fond et des illusions de ceux qui croient le choisir


Or donc, le Conseil Municipal de  la Ville de Genève croit désigner des administrateurs de la société de téléréseau Télégenève, alors qu'il ne fait que les proposer, comme le Conseil administratif le fait pour deux autres, en tant que représentants de la municipalité (et non de telle ou telle de ses instances) : le règlement d'organisation du Conseil d'administration de Télégenève prescrit que les membres du Conseil sont élus par l'Assemblée générale de la société -ce qui rend évidemment fictive une « désignation » directe par le parlement municipal. Certes, le règlement du Conseil Municipal attribue à celui-ci la compétence de « désigner » quatre représentants au sein du Conseil d'Administration de Télégenève, mais ils sont des représentants de la Ville de Genève, en tant que collectivité actionnaire, pas du Conseil municipal en tant que tel.
Les membres du Conseil d'administration de Télégenève proposés par le Conseil Municipal sont dans une situation qui relève de la pure schizophrénie : en tant que membre du Conseil d'administration d'une société privée,  la loi leur enjoint de  défendre les intérêts de la société;  en tant que représentants de la Ville de Genève, ils sont supposés défendre les intérêts de la Ville de Genève; en tant qu'élus du peuple, ou de représentants proposés par un groupe politique, ils sont supposés défendre les choix et les intérêts de la population; et finalement, en tant que personnes, que citoyens, ils sont en droit de défendre leurs propres positions... or dans le cas de Télégenève, ces intérêts, ces positions, ces choix, sont tous contradictoires les uns des autres : les intérêts d'une société anonyme et ceux d'une collectivité publique ne se définissent pas en fonction des mêmes critères; les positions de la société ne sont pas celles de tous les groupes politiques représentés au Conseil Municipal; la position du Conseil Municipal peut être (et dans le cas de Télégenève, a été) désavouée par le peuple municipal. Et pour rendre encore plus inconfortable la situation d'un membre du Conseil d'administration supposé représenter le Conseil Municipal, il lui est pratiquement interdit de rendre compte à ses mandants du mandat qu'ils leur ont confié... et il lui est imposé ce que le règlement d'organisation du Conseil d'administration de Télégenève résume comme des « devoirs de loyauté, de diligence et de confidentialité » -à l'égard non de la Ville, du Conseil Municipal ou de sa population mais de la société privée au Conseil d'administration de laquelle on l'envoie siéger.

Voilà donc les représentants du Conseil Municipal au sein du Conseil d'administration de Télégenève pris dans un écheveau de contradictions insolubles autrement qu'en opérant une rupture soit d'avec leurs obligations politiques, soit d'avec leurs obligations légales. Leurs obligations politiques ? défendre les intérêts de la Ville -mais définis par qui ?  Quel avis, de quel mandant, les représentants du Conseil Municipal au sein de Télégenève doivent-ils donc défendre, lorsque ces avis divergent ? celui du Conseil administratif, chargé de gérer les intérêts de la Ville, celui du Conseil Municipal, chargé de déterminer quels sont ces intérêts, ou celui du peuple, qui l'emporte sur les deux autres lorsqu'ils se prononce (et il s'est prononcé, en refusant ce que les deux autres acceptaient : la vente, à l'actionnaire privé et minoritaire, des actions de la Ville de Genève dans Télégenève) ?

Bref, si à lire son ordre du jour le Conseil municipal croit pouvoir « désigner » demain ou le mois prochain, trois de ses représentants au Conseil d'administration de Télégenève, ce sont en fait  des représentants de la société au sein du Conseil Municipal qu'il va proposer à la société elle-même.  Autant dire qu'on n'est pas là dans l'exercice d'une compétence parlementaire, mais dans un jeu de dupes -et, ce qui n'arrange rien, de dupes volontaires -sauf, évidemment, à trouver l'oiseau rare, prêt à « sortir des clous » pour ne pas être réduit au rôle d'otage ou de potiche...

Rare, l'oiseau...

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