Application de l'initiative « contre l'immigration de masse » : Le dilemme et le souk

Dilemme : faut-il respecter strictement la « volonté populaire » et appliquer rigoureusement l'initiative contre l'« immigration de masse » en cassant les bilatérales et en se retrouvant à l'égard de l'Union Européenne « Etat tiers », au rang du Monténégro ou de la Biélorussie (mais plus de l'Ukraine, désormais associée à l'UE ), ou ruser, en trahissant la « volonté populaire » et en n'appliquant de l'initiative que ce qu'elle a d'« eurocompatible », c'est-à-dire pas grand-chose ? Car l'initiative restera lettre morte tant qu'une loi d'application n'aura pas été votée, non seulement par le parlement, mais peut-être par le peuple, puisqu'un référendum est possible quel que soit le cas de figure : si la loi applique l'initiative, on aurait un référendum de gauche, et si elle ne l'applique pas, on aurait un référendum xénophobe. En attendant l'issue de ce dilemme, c'est déjà le souk entre secteurs économiques et entre cantons  pour obtenir, au cas où ils seraient mis en vigueur, la plus grosse part possible des contingents d'immigrants...

« Entre les blochériens et nous, il n'y a plus rien »

Que faire de l'article constitutionnel voté par le peuple le 9 février, et réintroduisant des contingents de salariés étrangers  (mais aussi de requérants d'asile et de frontaliers), y compris les ressortissants de l'Union Européenne, alors qu'actuellement les seuls contingents appliqués le sont aux immigrants « extra-européens » ? L'appliquer strictement en sachant qu'il est inapplicable sans casse de la « libre circulation », avec lequel il est totalement incompatible, et, en cascade, des accords bilatéraux ?  Attendre la réaction de l'Union Européenne ou la prévenir en tentant de négocier la synthèse des contraires, le maintien de la libre circulation et le retour des contingents ? 
Les partis gouvernementaux sont divisés, le Conseil fédéral aussi, l'UDC n'a aucune solution crédible au problème que son initiative pose (d'où la tentation de la laisser de démerder avec le patronat pour sortir la Suisse du merdier où elle l'a plongée), les syndicats refusent le retour à des statuts discriminatoires du genre de celui, aboli, des saisonniers, le PLR veut s'en prendre prioritairement à l'immigration extra-européenne (tout à fait minoritaire dans l'immigration globale),  les représentants des cantons et des villes refusent toute remise en cause des accords bilatéraux, alors qu'une telle remise en cause est mécaniquement conséquente de celle de la « libre circulation»...  et les socialistes proposent (en ayant une oreille plutôt favorable dans l'entourage du Conseiller fédéral Burkhalter, lui-même convaincu qu'il faut maintenir les accords bilatéraux, alors que Blocher est plus que prêt à les sacrifier) une nouvelle votation populaire, non plus sur l'immigration ou la « libre circulation » en tant que telles, mais, globalement, sur les accords bilatéraux, pour les confirmer ou clarifier leur abandon définitif. Qui ne laisserait plus alors comme alternative que celle, d'une clarté sans nuance, entre l'isolement et l'adhésion à l'Union Européenne.

Le Conseil fédéral présentera dans deux mois un plan de mise en oeuvre de l'initiative et lancera à la fin de l'année la consultation sur un avant-projet.  Le politologue Dieter Freiburghaus parie que l'initiative ne sera jamais mise en oeuvre, et l'UDC soupçonne la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga de lui faire le coup tordu (et pédagogique -comme quand on plonge la truffe d'un chien dans son étron pour lui apprendre à ne pas chier sur le palier) de proposer une loi d'application si fidèle à l'initiative qu'elle en serait inacceptable même par une grande partie de celles et ceux qui ont voté l'initiative, et qui n'auraient pas pour autant eu l'intention de faire sombrer corps et biens (surtout biens -les corps étant ceux d'étrangers, on ne va pas trop s'en préoccuper) les bilatérales. L'initiative en effet exige que tous les accords internationaux qui lui sont contraires soient renégociés. Or certains d'entre eux ne peuvent l'être (les conventions internationales sur les droits humains et les réfugiés, par exemple), et d'autres ne le seront pas faute de partenaire disposé à les renégocier -c'est le cas, précisément, de la « libre-circulation », clef de voûte des « bilatérales »...  Tout au plus pourrait-on renégocier l'accord sur l'extension de la « libre circulation » à la Croatie -dont on s'accordera à dire qu'il n'est plus qu'un enjeu secondaire, même s'il reste symbolique.

Et du côté des 49,7 % d'opposants à l'initiative udéciste, où en est-on au juste ? L'UDC d'un côté, le PS de l'autre, ont clarifié leurs positions respectives, et radicalement antagoniques : l'UDC s'affirrme désormais prête à en finir avec les bilatérales, le PS retrouve ses « fondamentaux » europhiles, jusqu'à envisager à nouveau l'adhésion de la Suisse à l'Union Européenne comme une possibilité. Et entre les deux ? Entre les deux, le marais, rien qui puisse même faire l'illusion d'un « centre » capable d'un compromis entre l'introduction de contingents d'immigrants et le maintien de la « libre circulation » (voire des « bilatérales » elles-mêmes) entre l'UE et la Suisse.  On pourrait alors paraphraser le Malraux gaulliste cuvée RPF : « entre les blochériens et nous, il n'y a plus rien »...

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