Des contingents et de la « Grande Genève » : Aux frontières du réel...

En 2013, près de 280'000 travailleurs frontaliers et travailleuses frontalières étaient employés en Suisse, dont plus du tiers dans la région lémanique, et un quart à Genève. Leur nombre s'était accru de 3,8 % en un an, sans que cela ait la moindre influence sur le taux de chômage des résidents -autrement dit, les frontaliers ne prennent pas d'emploi aux Suisses et aux résidents étrangers, mais occupent des emplois que la population active potentielle résidente n'occupe pas.  Un emploi sur dix en Suisse est occupé par un travailleur ou une travailleuse habitant au-delà de la frontière -une proportion qui ascende à 25 % au Tessin. Or en adoptant l'initiative udéciste sur l'« immigration de masse », une courte majorité de votants a non seulement décidé de rétablir un contingentement des immigrants, mais aussi de l'appliquer aux frontaliers qui par définition ne sont pas des immigrants. Or on peut contingenter beaucoup de chose -mais pas la réalité...

Les appellations d'origine contrôlée, ça vaut pour les cardons -pas pour les travailleurs


Avec l'adoption de l'initiative udéciste qui rétablit les contingents d'étrangers (en les imposant aussi aux réfugiés et aux frontaliers), on a adopté un « principe de préférence nationale », c'est-à-dire, dans la version allemande du texte, de la préférence aux ressortissants suisses. Il est plus que douteux que cela permette à des Suisses et Suissesses écartés du marché de l'emploi d'y remettre les pieds : ils n'en sont pas écartés du fait de leur nationalité mais le plus souvent du fait d'un désavantage de compétence pour les emplois offerts. Les employeurs vont d'ailleurs s'attacher à remplacer le principe de préférence « nationale » par celui de préférence «territoriale», qui favorise, à compétence professionnelle égale,  les personnes qui résident déjà dans la région de l'emploi auquel ils postulent, ce qui est, pour l'employeur, un avantage sur des personnes n'y résidant pas et en connaissant donc moins bien, voire pas du tout, les us, coutumes, pratiques et règlements. Cette préférence territoriale est ainsi déjà appliquée dans le secteur public et parapublic (cantonal et municipal) genevois...
Il faut alors rappeler quelques évidences : d'abord, celle que les chômeurs frontaliers ayant perdu leur emploi à Genève ont cotisé à l'assurance-chômage en Suisse et au tarif suisse, pour toucher des indemnités en France au tarif français, ce qui est tout benef pour l'assurance chômage suisse, qu'ils ont enrichi de la différence entre les indemnités qu'ils auraient dû toucher en Suisse et celles qu'ils touchent en France. Ensuite, l'évidence que les frontaliers d'aujourd'hui sont, comme les saisonniers d'hier, une sorte de fusible en cas de crise : ils sont les premiers à être licenciés. Enfin, l'évidence qu'à Genève, ni l'emploi des résidents, ni l'embauche de «nationaux» ne suffisent à occuper les postes de travail.
Reste que, malgré ces évidences qu'elles connaissent parfaitement, nos zautorités semblent s'être ralliées à l'usage du moulin à prières de la « préférence cantonale ». Même pas « territoriale », ce qui serait au moins prendre en compte la réalité genevoise de 2014 et non celle de 1814, mais « cantonale ». Et c''est une Genferei de plus, que cette schizophrénie qui consiste à bramer à tous vents sa volonté  de construire une « région franco-valdo-genevoise », transfrontalière par définition, tout en niant l'une de ses composante principale : le caractère précisément, et forcément, transfrontalier de l'emploi à  Genève...

En se ralliant, sans l'avouer clairement, à la « préférence cantonale », histoire de ratisser le terrain vague du MCG en cautionnant sa rhétorique et en légitimant ses obsessions, le gouvernement genevois ne fait pas qu'opposer les uns aux autres des travailleurs et des travailleuses, des chômeuses et des chômeurs, en fonction de leur lieu de résidence, il oppose surtout un discours illusoire à une réalité sur laquelle ce discours n'a strictement aucune prise. A Genève comme à Bâle ou au Tessin, la « préférence territoriale » pose la question de la définition du territoire : est-il celui du canton ou celui de la région ? Et s'il est celui de la région, de laquelle ? De la région réelle qui, ici, va au moins jusqu'à Bellegarde et Thonon, ou de sa part, minoritaire en superficie et bientôt en population, enclose dans les frontières et les limites cantonales ? Une chose est sûre, en tout cas : le respect de l'initiative udéciste est parfaitement incompatible non seulement avec le projet de la « Grande Genève » transfrontalière, mais aussi avec la réalité genevoise. Il n'y a pas à Genève de « marché local de l'emploi » que l'on puisse contenir dans les frontières nationales -Annemasse, Ferney-Voltaire, Saint-Julien, sont dans notre « marché genevois de l'emploi » et un chômeur à Annemasse est un demandeur d'emploi genevois. C'est aussi simple que cela -mais apparemment, aussi difficile à assumer politiquement.

Que le MCG, l'UDC et le Conseil d'Etat genevois l'admettent ou non, les appellations d'origine contrôlée, ça vaut pour les cardons ou le pinard -pas pour les travailleurs et les chômeurs.

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