Dernier coup de collier dimanche matin pour le salaire minimum...

 
 Pays riche, salaires de pauvre

C'est entendu, vérifiable, de notoriété universelle : la Suisse est un pays riche. Plus riche que presque tous les autres. Au moins du point de vue matériel. Un pays riche dont on nous assure qu'il n'a pas les moyens de garantir un salaire minimum à toutes celles et ceux qui y travaillent. On a dit tout et n'importe quoi du salaire minimum, dans les rangs de ses adversaires. Tout et son contraire : qu'il allait niveler les salaire par le bas et en même temps hausser l'échelle des salaires (en haussant ses barreaux inférieurs), qu'il nourrirait le chômage tout en accroissant l'immigration de travailleurs. La seule chose qu'on n'a pas dite, c'est que les salaires de pauvres versés à un-e salarié-e sur dix de ce pays riche arrangent finalement ceux qui décident dans ce pays -et qui décident que la responsabilité d'assurer un revenu suffisant pour vivre soit transférée du patronat à la collectivité publique, et du salariat à l'aide sociale.


Des bas salaires comme dommage collatéral de la prospérité de la Suisse


Une société saine est une société qui réduit au minimum le nombre d'assistés » sociaux, écrit Jean-Claude Péclet, dans Le Matin Dimanche. Mais qui croit encore en la santé de notre société (à supposer qu'elle soit vraiment «notre»...) quand des femmes et des hommes travaillent 40 heures (ou plus) par semaine sans que la rétribution de leur travail leur permette de vivre dignement sans aide sociale et de contribuer par leurs impôts au financement des tâches d'intérêt public (un contribuable sur deux de la ville de Neuchâtel ne paie pas d'impôts, parce qu'il est sans revenu suffisant, ni fortune) ? En 2012, plus du quart des personnes au bénéfice d'une aide sociale en Suisse exerçaient une activité rémunérée. Insuffisamment rémunérée pour leur permettre, à elle seule, de couvrir leurs besoins...

« Pour certains, dans ce pays qui regorge de tant de richesses, le fait que quelqu'un qui se lève tous les matins pour aller bosser sans pouvoir payer les coûts qui sont nécessaires à sa subsistance, en réalité, ne mérite pas de solution, ni salariale, ni sociale » (à moins que l'on se satisfasse de l'assistance sociale comme solution au « problème des bas salaires »), écrit, consterné, le président du Conseil d'Etat vaudois, Pierre-Yves Maillard. Ce problème, en effet, est tenu pour parfaitement insignifiant. Il n'y aurait donc rien d'anormal à ce que 10% des salariés aient besoin de l'aide sociale pour subvenir à leurs besoins… Or cette aide sociale n'est rien d'autre en l’occurrence qu'une sorte d'externalisation du coût social des bas salaires, assumé par toute la société (y compris les salariés correctement payés, et capables dès lors de payer des impôts) pour le plus grand profit des employeurs sous-payant leur personnel.

Les bas salaires seraient ainsi une sorte de dommage collatéral de la prospérité (souvenons-nous au passage qu'on a entendu dire la même chose des rémunérations exorbitantes de certains patrons...). Ou le prix à payer par quelques centaines de milliers de personnes pour que deux millions d'autres puissent vivre de leur travail. Il y a là comme un trou dans ce fameux « partenariat social » dont on nous rebat les oreilles pour l'opposer au salaire minimum légal. Un trou, en effet. et un gros, quand la moitié des salarié-e-s ne sont pas couverts par des conventions collectives, et que toutes celles qui sont supposées couvrir l'autre moitié des salarié-e-s ne prévoient pas de salaire minimum. Mais qu'importe aux adversaires de sa détermination par une norme légale : ce serait, écrit le rédac'chef de la Tribune de Genève (dont on s'autorise à supposer qu'il n'est pas personnellement concerné par le problème), « mettre en veilleuse un système qui a contribué au succès de la Suisse moderne », ce pays, le nôtre, dont l'ancien directeur de l'Office fédéral des assurances sociales, Otto Piller, observe qu'il est « si riche que nous devrions veiller à ce qu'une personne qui qui travaille du matin jusqu'au soir puisse vivre de son salaire ». Comme d'ailleurs ces dizaines de milliers de personnes qui travaillent, elles, du soir jusqu'au matin. Parce que si nous nous refusons à ce que ce droit minimum soit garanti, nous cautionnons une « injustice grave ».


On connaîtra dimanche soir le sort réservé par le peuple souverain à cette injustice. Nous le savons capable de la cautionner, nous ne désespérons pas de le voir, cette fois ou une autre fois, la récuser. Car le débat reprendra. Mais il faudra bien qu'alors il s'élargisse, car au-delà de l'enjeu du salaire minimum, c'est la question de fond du salariat, en tant que mode de rétribution du travail (ou plutôt du temps passé au travail) et de production de la plus-value qu'il conviendrait de se poser (et on y reviendra)...  mais à part les anars, toujours intempestifs, et qui la posent dans Le Courrier d'hier (voir
www.lecourrier.ch/120773/liquider_le_salariat), qui est encore capable de se la poser, cette question, ici et maintenant ?

Commentaires

Articles les plus consultés