Il n'y aura pas de salaire minimum légal en Suisse : Retour à la case « aide sociale »


       
La défaite est lourde, et sans îlot régional de résistance (à part les Pâquis) : même à gauche, l'initiative syndicale pour un salaire minimum n'aura pas fait le plein des voix (un tiers des électrices et des électeurs de gauche ont voté contre un texte soutenu par toute la gauche). Il n'y aura donc pas en Suisse de salaire minimum légal, et les « travailleurs pauvres » devront continuer à requérir une aide sociale pour boucler leurs fins ou leurs milieux de mois. Et les contribuables qui ont voté « non » au salaire minimum légal continueront à se substituer aux patrons pour que les salariés sous-payés puissent subvenir à leurs besoins.

Nous ne sommes pas le Tiers-Etat, nous sommes le quart du souverain...

Les Suisses ne veulent pas de l'ingérence de l'Etat dans la fixation des salaires », jubile le communiqué patronal de dimanche. Ils viennent pourtant de la ratifier, les Suisses, cette ingérence, sous sa pire forme : celle de la subvention aux employeurs sous-payant leurs employés.  Le peuple est souverain, certes. Mais cela n'implique pas qu'il soit cohérent. On ne s'attendait pas à gagner, mais on ne s'attendait pas non plus à perdre si nettement. A Genève, l'initiative populaire cantonale pour un salaire minimum avait obtenu 45,8 % de « oui » (l'étiage de la gauche à l'époque) en novembre 2011. L'initiative fédérale sur le même sujet, proposant le même niveau de salaire minimum, n'a été soutenue dimanche que par un tiers de l'électorat. L'initiative atteint tout juste les deux tiers du score de l'initiative de la Jeunesse socialiste pour la réduction à 1:12 de l'écart des salaires -la force de frappe des syndicats est pourtant incomparable à celle de la JS.
 «  Nous n’avons pas réussi à convaincre au-delà du réservoir de votes habituels », constate le syndicat SIT -en fait, nous n'avons même pas réussi à convaincre la totalité de ce «réservoir de votes ». Le SIT évoque, au nombre des raisons de cet échec, le fait que les principaux bénéficiaires d'un salaire minimum, c'est-à-dire la majorité des «travailleurs pauvres», sont des femmes et des étrangers. Les premières votent moins que les hommes, les seconds n'ont pas le droit de vote. Cela contribue sans doute à expliquer pourquoi le salaire minimum prend un pareil bouillon dans les urnes, mais cette explication n'épuise pas l'analyse nécessaire des raisons de notre défaite. Il y eut certes aussi le « chantage à l’emploi » (augmenter les salaires, c'est dissuader l'embauche), et les millions mis par la droite et le patronat dans leur campagne contre le salaire minimum, mais ce chantage et ces millions sont si habituels dans des campagnes patronales contre des propositions syndicales qu'on ne voit pas pourquoi ils auraient eu cette fois une efficacité exorbitante. Plus déterminant aura sans doute été l'attachement à un « partenariat social » mythifié, qui laisse la moitié des salariés sans convention collective.

Reste, tout de même, que, comme l'écrivent les syndicats genevois, « jamais le pays et le canton n’ont autant débattu de l’indécence du phénomène des woorking poor, des inégalités salariales entre hommes et femmes et du creusement des inégalités salariales et sociales, de la nécessité d’un instrument simple et efficace pour lutter contre la sous-enchère salariale dès lors que la majorité des salariés-es du pays et du canton sont privés de la protection des CCT ». C'est bien sous la pression de l'initiative que des employeurs et des branches entières (le commerce de détail genevois, par exemple) ont fini par admettre qu'il était désormais indéfendable que l'on puisse payer en Suisse en 2014 moins de 4000 francs par mois quelqu'un qui travaille à plein temps,  et que le débat s'est fait sur le niveau acceptable de la rétribution du travail. Et que des dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs vont désormais bénéficier de ce que réclamait é'initiative.
Nous suggérions il y a quelques jours, que la seule opposition de gauche réelle dans ce pays, aujourd'hui, était représentée par les syndicats. L'opposition de gauche pèse donc, dans les urnes, 23,7 % des suffrages.  Nous ne sommes pas le Tiers-Etat, nous sommes le quart du souverain. C'est peu, mais de ce quart, on peut tout de même faire quelque chose.  Parce qu'il ne saurait être question de se résigner à l'arrogance de ceux qui, gagnant en une heure ce que les travailleurs pauvres gagnent en un an, trouvaient « excessif» de revendiquer 4000 francs par mois pour un travail à plein temps.
Cntrairement à ce que titre la Tribune de Genève, le débat sur le salaire minimum n'est pas clos par notre défaite de dimanche -pas plus que le débat sur l'assurance-vieillesse n'a été clos par la défaite de la Grève Générale de 1918...

« Un salaire de 4000 francs me paraît trop élevé » soupirait, dans « Le Temps » de samedi  Christian Courtin-Clarins, président du Conseil de surveillance du groupe Clarins, héritier et coactionnaire exclusif du groupe, et quinzième fortune de France en 2013 avec ses 3 milliards d'euros. soit 75'000 fois plus que le salaire annuel revendiqué par les syndicats en Suisse. Enfin quelqu'un qui sait ce que signifie réellement un salaire minimum excessif : un salaire qu'il faut toucher pendant 75'000 ans pour qu'il atteigne la fortune de celui qui le trouve excessif. Bon, ben on relancera une initiative en l'an 77014, alors... et va falloir tenir : la fortune de machin nous permettrait d'acheter 50 millions de litres de bon ratafia (genre slioviça  ou absinthe). A raison d'un litre par jour et par personne, répartis entre les électrices et électeurs qui ont voté « oui » au salaire minimum, on devrait pouvoir écluser le stock en un an. Ensemble, parce que c'est unis qu'on est forts.
Même bourrés.

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