Initiative de la « Marche Blanche » : Exorciser la pédophilie ou la combattre ?
Quel âge, au juste, avaient Romeo et Juliette ?
Si l'on en croit les sondages, l'initiative de la «Marche Blanche» pour l'interdiction professionnelle des pédophiles sera, dimanche prochain, acceptée par le peuple et les cantons. Parce qu'elle fait écho à une indignation profonde de l'opinion publique et que peu lui importera que l'initiative soit perclue de défauts, que la loi modifiée aille plus loin qu'elle, et qu'elle ignore superbement deux principes fondamentaux de l'Etat de droit : celui de la proportionnalité des mesures et celui de la réversibilité des décisions (ce second principe est au coeur de l'abolition de la peine de mort : on peut sortir de prison quelqu'un qu'on y a envoyé par erreur judiciaire, on ne peut pas ressusciter un condamné à mort exécuté injustement...).
En cas, probable, de « oui » à l'initiative, la récente réforme du code pénal renforçant les mesures punitives d'actes pédophiles, qui va plus loin que l'initiative dans la répression de la maltraitance et qui prévoit des «interdictions de périmètre» que l'initiative ne prévoit pas, devra être elle-même réformée, afin qu'y soient intégrées les exigences de la « Marche Blanche ». Or ces exigences posent des problèmes non dans leur but explicite (l'interdiction professionnelle et bénévole), mais dans ses modalités : l'interdiction automatique et à vie, aux personnes condamnées pour des actes pédophiles, de toute activité professionnelle ou bénévole auprès d'enfants et d'adolescents, sans examen des cas précis, est en effet doublement contraire au principe de proportionnalité : d'abord par son automaticité (le juge n'a plus de pouvoir d'appréciation), ensuite par sa perpétuité : quel que soit l'âge du condamné, l'âge de la victime, les conditions dans lesquelles l'acte pédophile a été commis, les éventuelles évolutions de la personnalité même du condamné -évolution dont les initiants nient la possibilité même, la sanction, en plus d'être automatique, s'appliquerait jusqu'à la mort de celui (ou celle) à qui elle est infligée. On se retrouve là en terrain connu : celui d'initiatives proclamatoires dont le but est moins de changer le droit que d'affirmer une posture, comme le fait ce projet d'initiative rendant pénalement responsables les juges et experts ayant libéré un condamné qui récidiverait (mais pas les juges et experts ayant condamné un accusé dont on s'apercevrait ensuite qu'il était innocent ).
Et puis, il y a les maladresses du texte : ainsi de la qualification d'actes pédophiles appliquées aux amours juvéniles, lesquelles, pour autant que la différence d'âge entre les amants soit supérieure à trois ans et que l'un d'eux soit majeur, pourrait entraîner l'inscription à vie dans son casier judiciaire d'une condamnation pour pédophilie. Vous aviez 18 ans et étiez amant-e d'une fille ou d'un garçon de 14 ans ? vous voilà considéré jusqu'à votre mort comme un-e pédophile -mais quel âge, au-juste, avaient Romeo et Juliette ? Enfin, alors que la très grande majorité des actes pédophiles sont commis dans le cadre familial ou amical, par des parents ou des proches des victimes, l'initiative ne propose que de durcir la répression des actes pédophiles commis dans un cadre professionnel ou militant.
Ainsi l'initiative propose-t-elle moins un dispositif de lutte contre la pédophilie qu'un exorcisme de la complaisance avec laquelle elle a été traitée dès lors qu'elle sévissait dans le cadre familial ou religieux... En ayant accepté cette initiative, on se sera donné bonne conscience, sans s'être donnés les moyens de combattre réellement, là où il sévit le plus, le mal que l'on dénonce.
C'est redoutable, la bonne conscience. Cela tient de la foi, c'est aussi incontestable qu'improbable. Et cela se résume en une phrase du Conseiller national PDC Yannick Butet : « Il vaut mieux risquer une certaine injustice que mettre un mineur en danger».
On ne saurait mieux dire qu'on n'est plus dans l'ordre de la justice mais dans celui de l'exorcisme.
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