Initiative sur le salaire minimum : L'équité plutôt que la charité


Les derniers sondages d'intentions de vote sur l'initiative syndicale pour un salaire minimum légal n'augurent guère de son acceptation, et alors ? Combien de temps a-t-il fallu pour instaurer l'AVS ? Pour concrétiser (et encore : pas totalement...) le cahier de revendications de la Grève Générale de 1918 ? Combien de fois a-t-il fallu voter pour que finalement le peuple des mâles accepte d'accorder les droits politiques aux femmes ?  Tout ce qui, le 18 mai, dépassera l'étiage actuel de la gauche (30 % des suffrages) sera bon à prendre, chaque canton qui dira « oui » à l'initiative sera un engagement à poursuivre le combat au plan cantonal. On pourra prendre la droite et le patonat aux mots de leur éloge du « partenariat social » contre le salaire minimum légal et de leur dénonciation de l'« assistanat social généralisé ». Parce que le choix, finalement, est simple :  l'équité  par le salaire minimum, ou l'assistance sociale pour les bas salaires.


De quoi le partenariat (a)social est-il le nom ? d'un cadeau au patronat le plus rapiat ?

Dans ce pays 335'000 personnes reçoivent un salaire inférieur à 4000 francs brut par mois pour un travail à plein temps. Un tiers de ces travailleuses et travailleurs sous-payés sont au bénéfice d'une formation professionnelle complète, attestée par un certificat fédéral de capacité. Et un-e bénéficiaire de l'aide sociale sur trois travaille -mais pour un salaire insuffisant à le faire vivre correctement.
Le système actuel est d'autant plus vicieux qu'il conduit à ce que l'aide sociale ait l'effet d'une subvention aux employeurs versant des salaires insuffisants : cette aide permet à ces employeurs de continuer à sous-payer leurs employés, ceux-ci recevant de la collectivité publique le complément nécessaire pour que leur revenu atteigne le minimum exigible pour vivre décemment. En d'autres termes, les contribuables subventionnent les patrons sous-payeurs. Et cette subvention, dont un salaire minimum légal de 22 francs de l'heure permettrait la plupart du temps de se passer, pèse, sur les caisses publiques (celles des institutions d'aide sociale) une centaine de millions de francs par année. Un beau cadeau fait au patronat le plus rapiat.
Quant à l'efficacité des conventions collectives pour assurer, en l'absence de norme salariale légale, un revenu du travail permettant au travailleur d'en vivre,  le rapport du secrétariat d'Etat à l'Economie (Seco) sur la sous-enchère salariale et les effets des « mesures d'accompagnement » à la libre-circulation en signale clairement les limites : en 2013, même dans les branches soumises à des conventions collectives de travail ayant force obligatoire et comportant une prescription de salaire minimum, 33 % des entreprises étrangères ayant détaché des travailleurs en Suisse, et 25 % des entreprises suisses (et encore n''évoque-t-on ici que les entreprises ayant pu être contrôlées...) étaient en infraction et payaient leurs employés en-dessous du salaire minimum conventionnel. L'Union Syndicale Suisse désigne les secteurs de l'horticulture et du commerce de détail, où seule une minorité de travailleuses et de travailleurs sont au bénéfice d'une CCT fixant un salaire minimum, comme particulièrement propices à la sous-enchère salariale. Bref, en l'absence de salaire minimum légal, même dans les secteurs couverts par une convention collective obligatoire fixant un salaire minimum lui aussi obligatoire,  la sous-enchère salariale prospère. Et comme la moitié des salariées et des salariés de ce pays ne sont couverts par aucune convention collective, qu'une partie de ceux qui sont couverts ne le sont que par une CCT sans salaire minimum, et qu'au total à peine plus de 40 % des salariées et salariés ont la garantie d'un salaire minimum conventionnel (et encore celui-ci est-il parfois inférieur aux 22 francs de l'heure proposés par l'initiative syndicale) la mesure de l'« efficacité » des seules conventions collectives pour lutter contre les bas salaires est vite faite, et la nécessité d'un salaire minimum légal vite comprise, à condition que l'on veuille faire l'effort de la comprendre.   D'ailleurs, l'instauration d'un salaire minimum légal n'est nullement exclusive du développement des conventions collectives, qui contiennent des normes portant sur bien d'autres aspects que celui du salaire, et qui peuvent parfaitement fixer des minima salariaux supérieurs au minimum légal. Les deux systèmes, celui de la loi et celui de la convention, se complètent parfaitement.
Ce qui ne se complète pas, en revanche, c'est l'état réel des rémunérations du travail dans ce pays et le discours patronal sacralisant un « partenariat social » qui laisse des centaines de milliers des travailleuses et de travailleurs à la porte des services d'aide sociale, faute d'un salaire suffisant pour vivre. Comme si la prospérité proclamée de la Suisse devait forcément se payer de la précarité matérielle d'un-e salarié-e sur dix et que pouvoir vivre de son travail sans avoir recours à l'assistance ou à la charité était une revendication irresponsable.
Au fait, combien gagnent-ils, ces dirigeants patronaux qui depuis des semaines nous clament qu'un salaire de 4000 francs par mois pour un travail à plein temps relève du délire somptuaire ?

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